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Vivre en poète (ENS Lyon)

Vivre en poète (ENS Lyon)

Publié le par Marc Escola (Source : Nathan Gilquin)

Journée d’étude : Vivre en poète

École normale supérieure de Lyon, jeudi 27 novembre 2025

Date limite de l'appel : 27 juin 2025

Vivre en poète, mener une vie poétique, être poète de sa vie… Quels sens ces expressions peuvent-elles avoir aujourd’hui ? Est-il possible de leur accorder une valeur opératoire dans la théorie et l’étude de la poésie ? Elles semblent signifier que la poésie est au moins autant un genre littéraire qu’une manière de vivre : un·e poète écrit et publie de la poésie, mais aussi vivrait singulièrement. Si une telle conception de la poésie semble datée du Romantisme, le tournant éthique des études littéraires (Laugier, 2006) invite à les reconsidérer et à les questionner. Différentes interrogations contemporaines, concernant notamment l’effectivité pratique de la lecture ou les usages de la littérature, alors conçue comme un réservoir de formes de vie (Macé, 2011 ; Coste, 2011), appellent en effet à repenser les enjeux d’un paradigme qui souhaite décloisonner la poésie et la vie.

Comme l’a montré José-Luis Diaz (2019), la formule vivre en poète apparaît en France au début du XIXe siècle dans certains discours critiques et désigne la vie intense de certains poètes, notamment de Byron. Elle participe du mouvement romantique de « vitalisation de la littérature » (Diaz, 2015), qui sort la poésie de son statut livresque pour la concevoir d’une façon existentielle. Les avant-gardes du début du XXe siècle radicalisent cette conception – « réintégrer l’art à la pratique de la vie » étant un de leurs critères définitoires (Bürger, 1974). Une déclaration comme celle de Tzara dans sa conférence « Le surréalisme et l’après-guerre » (1948) en donne une idée : « La poésie n’est pas uniquement un produit écrit, une succession d’images et de sons, mais une manière de vivre ». Les perspectives surréalistes évoluent sur ce point, de l’idée selon laquelle l’écriture serait un obstacle à la « vraie vie » à l’impératif de consacrer entièrement sa vie aux activités poétiques. Plus récemment, les réflexions de Jean-Claude Pinson sur la poéthique, conçue comme une méthode critique et une théorie générale de la poésie, capable de créer des modes d’existence singuliers, illustrent encore une conception existentielle de la poésie tout en la déplaçant, notamment vers la biopolitique et l’écologie (Pinson, 2008, 2013, 2023).

Cette journée d’étude cherchera à donner un contenu précis à l’idée de vivre en poète et par extension à la conception de la poésie comme manière de vivre. Elle envisagera notamment ses implications selon différentes perspectives (éthique, méthodologique, littéraire et artistique, sociologique), qui constituent des axes non-exhaustifs de réflexion. 

1. Une redéfinition éthique de la poésie ?

Dans quelle mesure les recherches contemporaines sur les finalités éthiques et pratiques de la littérature permettent-elles de repenser les enjeux d’une conception de la poésie comme manière de vivre ? Jean-François Puff (2020) a récemment redéfini la poésie lyrique dans une perspective pratique, en montrant que l’entreprise poétique peut être un moyen pour agir sur la vie. En tant qu’exercice de transformation de soi (d’une manière de vivre et de voir le monde), la poésie est pensée selon ses usages possibles dans la conduite de la vie. Si une telle conception de la poésie, en termes de forme de vie, n’est pas entièrement superposable au paradigme vivre en poète – qui relève pour sa part d’un imaginaire culturel, c’est-à-dire de représentations en partie stéréotypées et figées –, il nous semble nécessaire de placer nos réflexions sur un plan éthique. Une pratique poétique est en effet investie d’une valeur existentielle en ce qu’elle déterminerait un art de vivre singulier. La poésie participerait alors plus généralement d’une esthétique de l’existence, pour reprendre une catégorie philosophique dressant un pont entre les stoïciens, Nietzsche et Foucault : elle serait autrement dit une technique de subjectivation donnant une forme à la vie (Macé, 2015). Comme l’a montré Valentine Meydit-Giannoni (2021), au sujet de poètes du XXe siècle dont les poétiques sont en partie prescriptives (Michaux, Char, Jabès et Jaccottet), cet art de vivre prend de multiples formes mais serait marqué par l’idée d’une justesse dans l’écriture et dans la vie. Les interrogations accompagnant cette redéfinition éthique de la poésie sont nombreuses et pourront faire l’objet de communications : comment une pratique poétique peut-elle définir, voire transformer une manière de vivre ? Permet-elle réellement de mieux vivre ?

2. Comment étudier une conception de la poésie comme manière de vivre ?

Si la poésie est au moins autant une manière de vivre qu’un genre littéraire, alors la notion de texte se voit minorée, voire remise en cause. On assiste à un « transfert de focale herméneutique, de la poésie comme texte et comme genre(s) à la personne du poète » (Diaz, 2019). Or, comment et sur quels objets un·e chercheur·se en littérature peut-il·elle travailler si la poésie, comme l’écrit Breton, « émane davantage de la vie des hommes, écrivains ou non, que de ce qu’ils ont écrit » (Les Pas perdus, 1924) ? Cet axe permettra de réfléchir à la façon dont les conceptions existentielles de la poésie bouleversent (ou non) les outils des études poétiques. Des communications pourront à ce titre s’interroger sur l’opportunité et la manière de prendre en compte, dans les études poétiques, ce que Bourdieu nomme « les entours négligés du texte », c’est-à-dire « ce qui fit et fut la vie des auteurs, […] son décor le plus quotidien » (1992). Cela implique de reconsidérer le statut de la biographie dans les études littéraires (Boyer-Weinmann, 2005), qui a pu être restreint du fait du soupçon porté contre l’auteur et du succès de la thèse de la dépersonnalisation de l’énonciation poétique moderne (Friedrich, 1956). Étudier une conception existentielle de la poésie permettrait en cela de sortir les études poétiques d’approches strictement textuelles. C’est pourquoi des communications pourront explorer la façon dont l’extension de la poésie à la vie implique une extension transdisciplinaire des outils des études poétiques. Il peut en effet s’agir de remotiver et d’adapter des concepts sociologiques, comme celui de conduite de vie (Saint-Amand et Vrydachs, 2008), ou bien philosophiques, comme ceux d’exercice spirituel ou de forme de vie (Puff, 2020). De même, les études de genre peuvent interroger la possibilité et la spécificité de vivre en poétesse.

3. Représenter des vies poétiques : un·e poète mène-t-il·elle une vie (extra)ordinaire ?

Un troisième axe concerne les représentations littéraires et artistiques des vies poétiques. Le développement d’une conception existentielle de la poésie pendant la période romantique coïncide avec la valorisation, voire la mythification de la figure du poète. L’histoire de la poésie est parcourue de représentations mythifiant la vie de certains poètes (Murat, 2017), qu’il s’agisse des mythifications de la vie de Rimbaud ou plus généralement du mythe de la malédiction littéraire (Brissette, 2005). Toutefois, en dépit des formules et des représentations valorisantes, un·e poète n'est-il·elle pas en réalité un individu ordinaire ? Une partie de la production poétique contemporaine est en effet marquée par une démystification de l’idée de vivre en poète, assimilée à un paradigme post-romantique dépassé et inopérant. Il s’agit alors de porter un regard critique et ironique sur le monde poétique en revalorisant l’ordinaire et l’anecdotique du métier de poète (Beurard-Valdoye, 2017 ; Hanna, 2018 ; Martinez, 2017). Dans quelle mesure les représentations des vies de poète, sous l’angle du quotidien ou de l’ordinaire (Heck, 2023), renégocient-elles les représentations communes des vies poétiques ? Permettent-elles de remettre en cause la validité même de l’idée d’une manière poétique de vivre ? Nous encourageons les communications à s’interroger sur la façon dont les poètes représentent leur vie quotidienne dans leurs œuvres, mais nous serons également attentif·ves aux propositions qui décentrent la réflexion vers des œuvres non-poétiques (récit, autobiographie, bande-dessinée, photographie, biopic…).

4. Vivre de la poésie ? Les conditions d’existence des poètes

Un dernier axe pourra envisager les contradictions entre la réalité des conditions sociales des poètes et les conceptions et représentations précitées. Il s’agirait de vivre en poète à défaut de pouvoir vivre de la poésie, c’est-à-dire transformer des pertes matérielles (relative marginalisation sociale et économique de la poésie) en des gains symboliques. Si « les poètes vivent (toujours) mal de la poésie » (Dubois, 2023), l’on peut s’intéresser à la manière dont vivent ou ont vécu les poètes dans l’histoire de la poésie. La tendance actuelle irait à une généralisation du second métier (Lahire, 2006) et à une multiplication des activités (para)littéraires. Dans quelle mesure les conditions sociales des poètes rejoignent-elles l’imaginaire culturel entourant la formule vivre en poète ? Des communications pourront s’interroger sur la manière dont les conceptions existentielles de la poésie relèvent de discours stratégiques, de postures (Meizoz, 2007) ou de scénographies auctoriales, qui permettent aux poètes de se mettre en scène dans des conduites sociales plus ou moins stéréotypées ou spectaculaires. Cet axe pourrait en cela conduire à démystifier encore le paradigme vivre en poète. Alors que des discours relevant de la psychologie ou du développement personnel s’en emparent (Coulon, 2014), il nous semble en effet nécessaire de réfléchir aux limites des conceptions de la poésie comme manière de vivre.

Informations pratiques

Les propositions de communication (titre et résumé d’environ 300 mots, en français), accompagnés d’une brève présentation bio(biblio)graphique seront adressées avant le 27 juin 2025 aux trois adresses suivantes : nathan.gilquin@univ-lyon2.fr, marie-apolline.joulie@ens-lyon.fr et lila.marchant@ens-lyon.frUne réponse sera donnée avant le 11 juillet. Les communications, en français, devront faire 20 minutes. 

Nous encourageons les candidatures de jeunes chercheur·ses (doctorant·es, jeunes docteur·es…), de même que des propositions moins académiques (performance, lecture…) qui dialogueraient avec le thème de cette journée. Si notre cadre d’analyse est en grande partie ancré dans l’histoire de la poésie française, tous les domaines culturels, linguistiques et géographiques peuvent faire l’objet d’une communication. 

La journée d’étude aura lieu à l’École normale supérieure de Lyon (15 parvis René Descartes, 69007 Lyon), le jeudi 27 novembre 2025. 

Le repas du midi sera pris en charge. Les frais de déplacement seront à la charge du laboratoire d’origine des intervenant·es, sauf demande exceptionnelle de jeunes chercheur·ses.

Comité d’organisation

Nathan Gilquin (Passages XX-XXI, Université Lumière Lyon 2), Marie-Apolline Joulié (CERCC, École normale supérieure de Lyon), Lila Marchant (IHRIM, École normale supérieure de Lyon).

Comité scientifique

Corinne Bayle (École normale supérieure de Lyon), Olivier Belin (Sorbonne Université), Laure Michel (Université Lumière Lyon 2), Jean-François Puff (CY Cergy Paris Université), Denis Saint-Amand (Université de Namur).

Pistes bibliographiques

Beurard-Valdoye (2017), « Le métier de poète », Le Vocaluscrit, Nantes, Lanskine, coll. « Poéfilm », p. 63-88.

Boyer-Weinmann Martin (2005), La Relation biographique : enjeux contemporains, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Détours ». 

Bourdieu Pierre (1992), Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, coll. « Libre examen ». 

Brissette Pascal (2005), La Malédiction littéraire. Du poète crotté au génie malheureux, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Socius ». 

Bürger Peter (2013), Théorie de l’avant-garde [1974], trad. Jean-Pierre Cometti, Paris, Questions théoriques, coll. « Saggio Casino ».

Coste Florent (2011), « Littératures et formes de vie », Pratiques, n° 151-152, p. 73-88.

Coulon Jacques de (2014), Soyez poète de votre vie. Douze clés pour se réinventer grâce à la poésie-thérapie, Paris, Payot & Rivages. 

Diaz José-Luis (2015), « Quand la littérature formatait les vies », COnTEXTES, n° 15 : « Des vies à l’œuvre. Socialisation et création littéraire » ; DOI : https://doi.org/10.4000/contextes.6046.

(2019), « Vivre en poète », dans Laure Cahen-Maurel, Victoire Feuillebois et Martin Mees (dir.), Les Formes romantiques de la vie. Poétisations de l’existence dans le romantisme européen, Paris, Hermann, coll. « Fictions pensantes », p. 217-243. 

Dubois Sébastien (2023), La Vie sociale des poètes, Paris, Presses de SciencesPo, coll. « Académique ».

Hanna Christophe (2018), Argent, Paris, Amsterdam, coll. « L’ordinaire du capital ». 

Heck Maryline (2023), Écriture et expérience de la vie ordinaire. Perec, Ernaux, Vasset, Quintane, Bruxelles, La Lettre volée, coll. « Essais ». 

Lahire Bernard (2006), La Condition littéraire. La double vie des écrivains, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui ». 

Laugier Sandra (dir.) (2006), Éthique, littérature, vie humaine, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Éthique et philosophie morale ». 

Macé Marielle (2011), Façons de lire, manières d’être, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais ». 

(2015), « Baudelaire, une esthétique de l’existence », L’Année Baudelaire, n° 14-15, p. 49-67. 

Martinez Cyrille (2017), Le Poète insupportable et autres anecdotes, Paris, Questions théoriques, coll. « Forbidden beach ».

Meizoz Jérôme (2007), Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, coll. « Érudition ».

Meydit-Giannoni Valentine (2021), Prescrire, écrire. Pour un portrait du poète en moraliste ? Michaux, Char, Jabès et Jaccottet, Paris, Hermann, coll. « Savoir lettres ». 

Murat Michel (2017), Le Romanesque des lettres, Paris, Corti, coll. « Les Essais ». 

Pinson Jean-Claude (2008), À Piatigorsk, sur la poésie, Nantes, Cécile Defaut.

(2013), Poéthique. Une autothéorie, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Recueil ».

(2023), Vita poetica, Caen, Lurlure. 

Puff Jean-François (2020), Le Gouvernement des poètes. La poésie dans la conduite de la vie, Paris, Hermann, coll. « Savoir lettres ». 

Saint-Amand Denis et Vrydachs David (2008), « La biographie dans l’étude des groupes littéraires. Les conduites de vie zutique et surréaliste », COnTEXTES, n° 3 : « La question biographique en littérature » ; DOI : https://doi.org/10.4000/contextes.2302.