L'anti-romantisme est un phénomène complexe, et divers selon les nations dans lesquelles il s'enracine, du fait de sa nature réactive, et de la diversité des romantisme européens. En France, son apparition est contemporaine des premiers essais des romantiques français, qui ont dès le départ suscité une violente polémique, parce que leurs poétiques engageaient en même temps des reconfigurations morales, politiques, religieuses, à l'heure où un monde nouveau sortait de la Révolution et de l'Empire. L'anti-romantisme ne ressortit pas seulement en France d'une querelle d'ordre esthétique. Il s'est immédiatement greffé sur des positions idéologiques plus ou moins explicites, mais solidement ancrées dans les débats politiques du temps. Cette politisation de la critique du romantique (si l'on veut bien admettre que sous la catégorie politique nous entendions aussi les questions morales et religieuses) n'est pas une spécialité exclusive de la France, et l'anti-romantisme d'un Nietzsche ou d'un Karl Schmidt nous invite à étendre ce programme au-delà des limites hexagonales. Elle a peut-être seulement été accentuée par un phénomène plus spécifique (mais qu'on retrouverait pour une part au Portugal ou en Espagne), à savoir que bon nombre de romantiques français, de Chateaubriand à Hugo en passant par Lamartine et George Sand, ont été aussi des figures politiques, et qu'en particulier l'association de plus en plus prégnante du romantisme à l'image du grand homme de la Troisième République, Victor Hugo, mais aussi à l'échec de Lamartine sous la Seconde République, a rendu évidente la gravité des enjeux d'un mouvement littéraire et artistique qui, même lorsqu'il prétendit avec Gautier être un passe-temps aussi innocent que le jeu de quilles, n'en avait pas moins pour ambition de « changer la vie », et de réinventer les modes d'être ensemble d'une société passablement secouée par les révolutions politiques, industrielles et scientifiques.
Or l'anti-romantisme a très remarquablement survécu à la mort des romantiques, et cela jusqu'à aujourd'hui, non seulement dans les usages péjoratifs des mots « romantisme » et « romantique » dans le discours politique (i.e niaisement sentimental dans des options politiques déconnectés de tout principe de réalité, etc…), mais aussi dans un grand nombre de constructions de la modernité (et avec elle de la post-modernité). Il est une partie constituante de l'horizon d'attente de notre passé mais aussi de notre présent non seulement pour le grand public, mais pour bon nombre d'artistes, d'écrivains, voire d'universitaires qui font du Désiré Nisard sans le savoir (ou en le sachant – et après tout, Désiré Nisard était un lecteur sagace). Nous pourrions faire un centon de citations : chacun aura sans doute en mémoire un nombre suffisant d'exemples pour nous en dispenser.
Cette remarquable constance – la seule preuve que le romantisme n'est pas mort, c'est que l'anti-romantisme est encore vivant – doit être interrogée dans sa diversité, pour en comprendre les usages (notre propos n'étant pas de « défendre » le romantisme).
Il s'agira donc d'étudier les usages idéologiques de l'anti-romantisme dans leur complexité et leur diversité, et dans leurs évolutions que ne saurait masquer la récurrence des mêmes critiques. Il faudra surtout rendre compte de sa diversité, car tel est un des points notables du phénomène antiromantique : impossible de le réduire à une constellation idéologique homogène, et cela dès les premières années du XIXe siècle. Pour aller vite, et dans l'état actuel de la recherche, il y a tout autant d'anti-romantismes « progressistes », « libéraux », « réformistes » ou « révolutionnaires » (que l'on songe à l'hostilité si fréquente de la critique marxiste ou post-marxiste à l'égard des romantiques) que d'anti-romantismes « réactionnaires », « conservateurs » ou « contre-révolutionnaires ». Et ces anti-romantismes sont à investir par la recherche, parce que leur connaissance approfondie permettra sans doute de mieux comprendre et les champs idéologiques dans lesquels ils ont pu ou peuvent s'inscrire, et le romantisme, selon le principe aisément vérifiable qu'on n'est jamais mieux connu que par ses ennemis. Non que nous visions par un détour polémique à redonner une essence transcendante à ce mouvement, qui fut si concrètement divers, mobile, contradictoire. Ce qui nous intéressera, ce sont précisément les contenus historiquement conférés au mot « romantisme » dans les procès qui lui ont été intentés, et l'efficience de ces procès.
A l'horizon de deux journées d'études, l'une le 5 mai 2007, l'autre au printemps 2008, et d'un volume collectif dont les textes devront être remis en décembre 2008, les contributions (qui éviteront autant que faire se peut tout caractère monographique), pourront porter, des origines à nos jours, en France et en Europe :
1. Sur l'anti-romantisme dans les débats et la vie politiques
2. Sur les enjeux idéologiques des critiques du romantisme par les écrivains, les artistes, les intellectuels, les critiques et les « spécialistes ».
3. Sur les constructions du romantisme qu'ont opérées de telles critiques, et en particulier les découpes qu'elles ont pu induire ou explicitement revendiquées (Chateaubriand contre Hugo, « petits » romantiques contre « grand », « second » romantisme contre « premier » (et vice-versa), romantisme allemand contre romantisme français, etc.).
La participation à la journée d'études sera dissociée de la contribution au volume collectif, quoique qu'elle en veuille être la préparation. Les textes proposés pour le volume ne devront pas dépasser les 30 000 signes.
Pour toute correspondance s'adresser à
Claude (Élisabeth) Millet
Professeur à l'Université de Paris 7
claude-e-millet@wanadoo.fr