Les usages de l'essai sur la scène contemporaine
Journée d'étude
Maison de la Recherche, Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, le 18 mai 2021
À la fulgurance des adaptations romanesques sur la scène contemporaine semble avoir succédé, depuis une dizaine d’années, un « temps de l’essai » que cette journée d’étude tentera d’appréhender. L’essai est un matériau savant et hasardeux, un étrange mélange de poésie et de rhétorique, de « preuves » et de « drame » comme disait Sartre. Un objet scientifique non identifié où l'auteur manifeste ses tâtonnements intellectuels et temporalise sa pensée. Dans un ouvrage essentiel, Marielle Macé rappelle à quel point l’émergence historique de l’essai a brouillé l’opposition entre le champ littéraire et les sciences humaines à l’orée du XXe siècle. Aujourd’hui, ce sont les frontières du drame et de la pensée, de la parole théâtrale et du discours scientifique, qu’il semble vouloir provoquer. Cet objet textuel, a priori anti-spectaculaire, dégage un potentiel théâtral car il donne corps à une pensée en mouvement, qui se cherche et s’actualise sans cesse sur la page. Une pensée toujours située, susceptible de s’incarner dans un corps. Voilà pourquoi il semble combler un désir crucial de la scène théâtrale contemporaine (sensible notamment par ses « performances conférencielles ») : refaire du théâtre un lieu de partage actif de la pensée en le préservant de toute pesanteur didactique.
Les « usages de l’essai » que nous pourrons étudier seront très variés, pouvant aller d’une « adaptation » plus ou moins fidèle et avouée à l’inspiration plus lointaine, jusqu’à la pure citation dans une écriture hybride (comme chez Liddell ou Castorf). Il faudra toutefois que la présence d’un essai soit manifeste et paraisse décisive dans le processus créatif. Plusieurs problématiques pourront être envisagées :
— L’économie de l'essai — Pourquoi l’essai constitue-t-il un matériau privilégié par les écritures du plateau (en particulier chez les jeunes collectifs) ? Est-ce parce qu’il met en intelligence tous les membres d’une équipe artistique ? Qu’il constitue une sorte de « pensée ouverte » que tous les langages peuvent s’approprier ?
— La place de l’essai dans le processus créatif — Comment la matière initiale de l’essai se conserve et se transforme-t-elle dans le processus créatif ? Comment devient-elle un objet dramatique ? Comment peut-elle s’intégrer à d’autres médiums artistiques (textuels ou non) ? Est-elle cruciale dramaturgiquement ou devient-elle un « élément parmi d’autres » ?
— La réception et la construction d’un genre — En quoi l’essai bouleverse-t-il l’expérience spectaculaire ? Serait-il à l’origine d’une nouvelle politique théâtrale ? Peut-on parler de « spectacle-essai », « d’essais de plateau » comme un sous-genre des écritures contemporaines ?
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Cette journée d'étude est organisée par les doctorant.e.s en études théâtrales Pierre Comandu, Pierre Lesquelen et Noémie Régnaut (Université Paris 3) et Victor Inisan (Université de Lille). Elle se déroulera à la Maison de la Recherche de l’Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle (4, rue des irlandais 75005). Elle se clôturera par une table ronde avec deux compagnies majeures du jeune paysage créatif (Animal Architecte et le Collectif Marthe) qui nous parleront de leurs travaux respectifs sur Greil Marcus et Elsa Dorlin.
Elle est ouverte à tous les doctorant.e.s et chercheur.se.s en arts de la scène. Envoyez une proposition de communication (qui devront durer au maximum 25 minutes) de 300 mots environ avant le 30 janvier 2021 aux adresses suivantes (pierre.lesquelen@sorbonne-nouvelle.fr, noemie.regnaut@sorbonne-nouvelle.fr ). Une réponse vous sera adressée vers le 15 février.
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Voici un vivier non exhaustif de spectacles qui pourraient inspirer ou nourrir des communications.
On y ajoutera le travail de Sylvain Creuzevault, de Benoit Lambert, d’Eric Didry, d’Angelica Liddell…
- Bandes, Camille Dagen et Emma Depoid, 2020 (d’après Greil Marcus)
- L’art de conserver la santé, Ondine Cloez, 2020 (d’après un essai médiéval)
- Le Théâtre et son double, Gwenaël Morin, 2020 (d’après Artaud)
- Tiens ta garde, Collectif Marthe, 2020 (d’après Elsa Dorlin)
- Acteurs !, Däpper Dutto, 2020 (d'après Lacan)
- New skin, Hannah de Meyer, 2019 (d'après plusieurs essais féministes et écologistes)
- Le Marteau et la faucille, Julien Gosselin, 2019 (d'après Don De Lillo)
- La Naissance de la tragédie, Maxime Kurvers, 2019 (d'après Nietzsche)
- Le Sec et l’humide, Guy Cassiers, 2019 (d’après Jonathan Littell)
- Retour à Reims, Thomas Ostermeier, 2019 (d'après Didier Eribon)
- Zinc, Dynamo Théâtre, 2019 (d’après David Van Reybrouck)
- Taïga, Comédie du Réel, Compagnie Cassandre, 2019 (d'après le Comité invisible)
- La République des abeilles, Céline Schaeffer, juillet 2019 (d'après Maeterlinck)
- Bajazet, Castorf, 2019 (d’après Artaud)
- En réalités, Alice Vannier, 2019 (d’après Pierre Bourdieu)
- Désordre du discours, Fanny de Chaillé, 2019 (d'après Foucault)
- Les Naufragés, Emmanuel Meirieu, 2018 (d’après Patrick Declerck)
- Le Monde renversé, Collectif Marthe, 2018 (d’après plusieurs essais sur les sorcières)
- Democracy in America, Castellucci, 2018 (d'après Toqueville)
- De la démocratie, Laurent Gutmann, 2018 (d’après Tocqueville)
- L'âme humaine sous le socialisme, Geoffroy Rondeau, 2018 (d'après Oscar Wilde)
- La violence des riches, Stéphane Gornikowski, 2018 (d'après les Pinçon-Charlot)
- D comme Deleuze, Cédric Orain, 2017 (d'après Deleuze)
- Exemple, César Vayssié, 2017 (d’après Claude Lévi Strauss)
- L'Âge libre, Compagnie avant l'aube, 2016 (d'après Roland Barthes)
- King Kong Théorie, Vanessa Larré, 2015 (d'après Virginie Despentes)
- Timon Titus, Collectif OS'O, 2015 (d'après David Graeber)
- Ethica, natura e origine della mente, Romeo Castellucci, 2015 (d'après Spinoza)
- Nature aime à se cacher, Jonas Chéreau, 2011 (d’après Jean-Christophe Bailly)
- Fragments d'un discours amoureux, Arnaud Churin, 2011 (d'après Barthes)
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Bibliographie indicative :
- ADORNO, « L’essai comme forme » [1954], trad. de Sybille Muller, in Notes sur la littérature, Paris, Flammarion, « Champs », 1984.
- CORMANN Enzo (dir.), Pensée plurielle, écritures singulières (Pédagogie critique et collective de l’écriture dramatique), Besançon, Les Solitaires Intempestifs, « Du Désavantage du vent », 2020.
- DANAN, Joseph, Absence et présence du texte théâtral, Arles, Actes Sud-Papiers, « Apprendre », 2018.
- DORT, Bernard, La Représentation émancipée, Arles, Actes Sud, " Le temps du théâtre ", 1988.
- DANAN, Joseph et NAUGRETTE, Catherine (dir.), Les nouveaux matériaux du théâtre, Paris, PSN, " Registres ", 2018.
- JOLIVET PIGNON, Rafaëlle, La Représentation rhapsodique, Montpellier, L'Entretemps, " Champ théâtral ", 2015.
- LOSCO-LENA, Mireille (dir.), Faire théâtre sous le signe de la recherche, Rennes, PUR, « Le Spectaculaire », 2017.
- MACÉ Marielle, Le Temps de l’essai : histoire d’un genre en France au XXe siècle, Paris, Éditions Belin, « L’extrême contemporain », 2006.
- RANCIERE Jacques, « Le Théâtre des pensées », in Le Fil perdu, Paris, Éditions La Fabrique, p. 115-138.
- RYNGAERT, Jean-Pierre et MARTINEZ Ariane (dir.), Graphies en scène, Montreuil, Les Éditions théâtrales, « Sur le théâtre », 2001.