La forme du texte : rhétorique et/ou interprétation
Une histoire qui n’est pas simple
1Quelque part dans les seuils d’une très récente livraison de Poétique, Michel Charles dessine en ces termes l’itinéraire de recherche que la revue propose à ses auteurs :
Elle offre un espace à des textes exigeants, écrits librement, dans le cours d’un itinéraire personnel, hors des urgences et des sollicitations, des commandes et des programmes. Elle se construit avec ce dont toute la recherche a besoin : le temps de la réflexion, la distance critique, le moins de contrainte et le plus de sérénité possible1.
2L’exigence ici ne dépend pas de critères extérieurs : elle est bien cet impératif intime de la raison critique, quand elle soumet les pensées à l’épreuve du temps et renoue ainsi avec les bénéfices scientifiques de la slow science2. Le temps, la distance, le retour, la reprise – et l’exigence de parvenir à un état sincère de la réflexion : tels sont aussi bien les principes qui m’ont animée dès lors que j’ai pris au sérieux la question de l’interprétation littéraire et ai entrepris de clarifier ma propre pratique critique – l’analyse formelle – par rapport au geste et à l’intention herméneutiques.
3Ou comment situer la théorie contre l’interprétation : l’histoire à première vue semble devoir être écrite d’avance, l’histoire d’une distinction et même d’une opposition. Et pourtant : la vérité de mon parcours sur ces questions difficiles – perturbantes – m’ont amenée à penser une rencontre plus qu’une séparation, une communauté de pratiques plutôt qu’une diversité.
4C’est alors l’histoire compliquée de cet itinéraire sur les chemins de traverses d’Hermès que je voudrais ici retracer, ou si l’on veut, le processus par lequel j’ai été amenée à relativiser les différences qui existent entre ces deux gestes professionnels et à en arriver à théoriser et à proposer une position communautaire – pour nous qui pratiquons aujourd’hui, sous une forme ou une autre, l’étude des textes.
5Mais on n’en est pas encore là : tout commence donc, ici, par l’histoire d’un clivage, dont je puis faire l’archéologie et revendiquer l’héritage.
Le roman de la division (l’Arbre ou la Source)
6Mon projet initial était donc de reprendre en forme de bilan la position qui était la mienne sur ces questions (et qui l’est encore par bien des points), à savoir qu’il y a une différence – épistémologique, méthodologique, éthique, idéologique – entre interpréter et analyser un texte (ou comme on dit par facilité, « décrire » quelque chose d’un texte) – et plus précisément, un texte littéraire, en comprenant par là un texte qui échappe (ou qui n’est pas rapporté) aux pragmatiques spécialisées que sont les interprétations de séquences textuelles à valeur indicative (en contextes religieux, juridiques, médicaux, policiers, historiographiques, etc.).
7Différence épistémologique tout d’abord, entre deux finalités de savoir étrangères l’une à l’autre, une investigation philosophique sur la tension du sens littéral vers d’autres niveaux de sens d’une part ; un savoir sur l’architexte d’autre part, autrement dit sur les procédures, les formes et les modes de fonctionnement des œuvres de langage. Au moment de me mettre au travail sur les textes, un choix stratégique préside bel et bien à ma relecture, entre d’un côté m’engager dans la décision du sens et de l’autre m’atteler à la mise en formes de la textualité.
8Différence et même opposition de méthode, ensuite, entre deux discours critiques, avec d’un côté ce que Genette nommait déjà dans Figures I un discours de reprise herméneutique du sens, en symbiose commentatrice (citationnelle) avec le fil du texte, et de l’autre côté un discours d’analyse et de mise à distance3. La séparation se fait ici sur les manières d’étudier les textes, entre deux positionnements de l’auctorialité critique, le pathos de l’herméneute d’une part, son engagement (furieux ou enthousiaste, selon les époques) dans la poursuite du sens ; l’ithos du théoricien d’autre part, entre désengagement et domination (voir à ce propos les figures contrastées que l’on dresse ici et là en ce moment, de Jean-Pierre Richard et de Gérard Genette4).
9Différence éthique, également, en l’occurrence une gestion pragmatique différente du débat intra-disciplinaire : pour les uns (les interprètes), la négociation polémique du dissensus dès lors que l’interprétation établit une tension herméneutique entre le texte et un au-delà doctrinal toujours sujet à contestation, qu’il s’agisse des intentions (interprétation intentionnaliste) ou des valeurs et des normes (interprétation finaliste) ; pour les autres (les analyticiens), la gestion conciliatrice du consensus dans une modélisation des formes dont le critère de pertinence est strictement technique, puisqu’interne au geste même de mise en forme. (On n’a jamais vu des rhétoriciens se battre pour savoir si Cicéron ouvre sa première Catilinaire par un exorde oblique ou entre directement dans l’argumentaire par une invective : car les deux descriptions sont très strictement correctes.) L’accord entre analyticiens repose de fait sur le seul consensus opérationnel (protocolaire) et permet de donner aux formes décrites, selon les époques, force de norme (le théoricien établissant en quelque sorte l’état de fait du texte) ou force de proposition (le théoricien inscrivant dans le texte la possibilité d’une forme).
10Différence idéologique surtout, quant aux présupposés sur le statut et la définition du texte qui légitiment et motivent ces deux gestes critiques – une différence d’ordre culturel, qui porte sur les « pourquoi » et par là même sur les « comment », pour reprendre la grande analyse de Michel Charles dans L’Arbre et la Source5, et qui engage deux conceptions pour le coup contradictoires concernant le rapport au texte : d’un côté, l’idée de l’autorité et de la monumentalité du texte détermine une enquête qui en déploie toujours plus les richesses et la singularité ; de l’autre, l’idée que le texte est le composé, la combinatoire – plus ou moins arbitraire, plus ou moins contingente –, de structures et de formes reproductibles et modifiables s’accorde avec une pratique manipulatrice et interventionniste, qui opère une sérialisation toujours possible du texte sur d’autres corpus exemplifiant des formes comparables, sur d’autres versions exemplifiant des formes modifiées.
11Ou, si l’on veut, une culture du texte – que Michel Charles nomme « commentaire » – contre une culture qu’il nomme « rhétorique » et dont la fonction est de « casser6 » l’autorité du texte, de le considérer comme un assemblage de possibilités, « un instrument à fabriquer d’autres discours » (ibid., p 12). – Et Michel Charles n’en finit pas alors, dans la culture à dominante commentatrice qui est la nôtre et qui permet à une société de s’identifier par un certain nombre de textes monumentalisés, de promouvoir une méthode d’analyse alternative qui fonctionne comme « moyen le plus efficace de mettre le texte à distance » (ibid., p. 52) et oppose au discours de la révérence et de la confortation un discours de la résistance et de la contestation7.
12Bilan de cet état de l’art qui était donc (déjà) le mien avant même de commencer à réfléchir sur ce paradigme, il y a pour moi d’un côté l’interprétation et de l’autre la réflexion théorique, comme il y a d’un côté un engagement dans le sens et de l’autre une technique de mise en formes, d’un côté le commentaire et de l’autre l’analyse, d’un côté une investigation en profondeur dans le texte et de l’autre un positionnement en surplomb, d’un côté une lecture partisane et de l’autre une construction intellectuelle, d’un côté une sanctification et une sanctuarisation de la textualité et de l’autre un démontage jubilatoire. Et dans le paysage intellectuel ainsi dessiné, aujourd’hui encore je suis prête à prendre fait et cause pour que persiste l’Arbre –la forme de l’Arbre, son architecture, sa possibilité.
L’aménagement des territoires (analyse et interprétation)
13Mais je me laisse emporter par le storytelling du clivage : entre ces deux positionnements critiques8, il n’y a peut-être jamais eu de guerre puisqu’au demeurant tous deux se déploient à l’intérieur du cercle textuel9. Et de fait, dans les propositions des théoriciens, l’aménagement des territoires a toujours accompagné les discours de la séparation. Mais à mon avis, il faut lire ces protocoles de la conciliation pour ce qu’ils sont : la continuation d’une légitimation du théorique par d’autres moyens, par la gestion politique d’un droit à la différence dans un rapport de forces qui lui est défavorable.
14D’une part en effet, l’on trouve des plaidoiries défendant la possibilité du théorique à côté de l’hégémonie interprétative ; et d’autre part, des stratégies de concession relative et de « dissimilation », pour contenir l’extension de l’herméneutique et dénoncer les discours d’assimilation.
15Premier versant dans cette politique du droit à la différence – du droit à tenir une proposition théorique dans un univers dominé par la vis interpretandis –, un ensemble de propositions sur la possibilité d’une complémentarité entre les deux façons de travailler, sur le mode de l’alternative coordonnée (Figures I, 1966) ou sur celui de la succession ordonnée (Michel Charles, 2010). Du côté de l’alternative, cela donne :
Ainsi la relation qui unit structuralisme et herméneutique pourrait être non pas de séparation mais de complémentarité : à propos d’une même œuvre, la critique herméneutique parlerait le langage de la reprise du sens et de la recréation intérieure, et la critique structurale celui de la parole distante et de la reconstruction intelligible. Elles dégageraient ainsi des significations complémentaires, et leur dialogue n’en serait que plus fécond, à cette réserve près qu’on ne pourrait jamais parler ces deux langages à la fois10.
16Pas sûr que le « dialogue » entre les deux spécialisations puisse dans ces conditions être autrement que formel et superficiel, chacune, de fait, se nourrissant surtout de ses propres débats internes. Il en va autrement de l’articulation logique tout autant que chronologique que défend Michel Charles, avec le temps préliminaire des repérages – l’étude des faits du texte et des possibilités de forme qu’ils ouvrent, leur cartographie – et l’investissement idéologique consécutif dans les lieux textuels en travail, dont l’analyse a repéré la forme ou la possibilité :
Que l’on puisse réinvestir d’un sens la forme mise au jour n’est pas douteux. Mais doit-on le faire ? La question n’est guère pertinente. On le fera de toute façon et ce sera bien ainsi. Il n’empêche qu’une activité théorique est légitime qui s’intéresse à cette forme pour elle-même, s’attache à en analyser la construction et en reste là. Ce n’est pas le tout des études littéraires, mais c’en est certainement une part indispensable11.
17Et l’on retrouve ici ce dispositif politique en deux volets dont je me suis également prévalue12 et qui négocie de surseoir à l’étape de la reprise interprétative au-delà de l’étape – méthodiquement prolongée et isolable – de la mise en formes du texte.
18Mais est-il aussi simple de repousser méthodiquement le moment, le geste, l’espace de l’interprétation ? ou plus simplement encore, de dégager spécifiquement des opérations d’analyse intactes de tout investissement herméneutique ? C’est ici que l’on rencontre le second versant du dispositif défensif, qui consiste à plaider pour l’existence en propre d’une procédure analytique dont l’assimilation à de l’herméneutique est tout autant abusive que source de confusion.
19Qu’objecte-t-on effectivement à cette revendication d’un espace propre de la théorie dès lors qu’elle s’applique à un texte ? (1) Que la décision du sens et l’implicite idéologique sont d’ores et déjà – depuis toujours – inscrits en creux dans tout geste, aussi technique soit-il ; (2) que toute focalisation sur un texte particulier fait basculer du côté de la critique et éloigne de la réflexion transtextuelle ; ou encore, (3) qu’il ne suffit pas de repérer des figures, des genres et des formes pour tourner le dos à la démarche commentatrice et à ses motivations idéologiques.
20Ce sont là de vraies objections – de vraies stratégies d’assimilation – auxquelles il n’est pas facile de répondre en quelques mots, sinon en admettant à la fois un possible rapprochement et une différenciation plus que jamais pertinente, que ce soit au niveau des objets, des méthodes ou des raisons : (1) certes, l’analyse des formes engage aussi le sens, mais il y a bien une distance entre travailler aux conditions d’intelligibilité du sémantique (en le mettant en formes) et développer un discours d’explicitation ; (2) certes le travail analytique peut opérer en se focalisant sur un texte unique, mais il y a bien de la différence entre expérimenter toujours plus ce qui fait la richesse et la singularité d’un texte, et reconnaître en lui ce qui est de l’ordre du sériel et de l’exemplification mémorable, entre monumentaliser un texte (le clore sur lui-même) et le doter d’une exemplarité productive, ouvrant la relecture sur une écriture à venir ; (3) certes enfin, tout relevé de formes fixées (« décrites ») n’est pas obligatoirement mu par un souci de casser l’autorité du texte en le pluralisant, mais la recension des « formes possibles » n’est pas la seule voie susceptible de pluraliser la forme d’un texte : l’ouvrir sur la sérialité des textes exemplifiant les mêmes procédures en est une autre.
21Et surtout (mais c’est une autre histoire, l’histoire suivante, d’une bifurcation) on pourrait dire (on dira) qu’emprunter la voie du commentaire est peut-être – tout bien pesé – une des méthodes possibles pour apprendre à mettre le texte à distance…
22Mais avant que d’en venir précisément à ce dernier point, il n’est sans doute pas inutile de s’arrêter sur les propositions précédentes, en les mettant en situation et en les reprenant une à une dans un exemple qui ne surprendra pas ceux qui connaissent mon travail sur les techniques compositionnelles.
Le discours d’un Prince : quatre analyses en forme de commentaire
23En reprenant le dossier à partir d’une des disciplines de l’analyse théorique, la rhétorique de la dispositio, j’ai été amenée à effectuer plusieurs travaux sur l’archéologie des pratiques d’analyse que l’ancienne rhétorique développe sur un corpus étendu de discours, travaux qui m’ont permis de mesurer plus précisément l’emprise de la décision interprétative dans le processus même d’analyse des formes – en l’occurrence, les formes des séquences (formes de l’argumentation et formes de la disposition).
24L’art de lire et d’analyser les textes dans l’ancienne rhétorique a en effet ceci de particulier sur la période xvie- xviiie siècle, qu’il mobilise une encyclopédie lectoriale à la fois délimitée et stable, composée d’un glossaire des formes les plus expérimentées dans l’usus scolaire (formes des arguments : arguments tirés des ressources-types ou lieux communs ; formes des parties : dispositifs successifs dans un canevas d’ensemble ; types du discours, déterminés par sa séquence focale, son propositum, et modélisable selon un canevas-type) ; et d’une bibliothèque d’exemples tout aussi stabilisée que massive. Pour aller vite, un Lauban, un Vossius, un La Cerda ou un Ferrazzi analysent alors un discours avec les mêmes outils et les mêmes références paradigmatiques de la Renaissance jusqu’au xviiie siècle, de l’Europe du Nord réformée à l’Europe du Sud catholique.
25Or, quand on les met en parallèle, on s’aperçoit qu’assurément les rhétoriciens ne pratiquent qu’exceptionnellement l’hésitation entre deux (séries de) formes concurrentes, la plupart optant pour un schéma de modélisation stabilisé, sans entrer en discussion ni avec eux-mêmes ni avec leurs prédécesseurs. Toutefois, ils ne livrent pas exactement la même analyse et en se livrant au jeu des recoupements et des comparaisons, il est possible de mesurer alors la part de variabilité et ce qui est de l’ordre du rémanent, de voir ce qui tend vers l’interprétation et ce qui lui résiste (sans que, d’ailleurs, ces deux séries ne se recoupent complétement).
26Pour résumer l’une de mes études qui a pris pour appui le discours qu’Énée adresse à la reine Didon au début de l’Énéide (en réponse à sa proposition d’accueillir en paix les Troyens échoués sur son territoire13), les quatre analyses que j’ai répertoriées et qui prennent la forme d’un ensemble de remarques coordonnées portant sur le fil du texte, se rejoignent d’abord sur tout ce qui est de l’ordre de la division syntagmatique : ici et là, le séquençage du texte en arguments successifs reste le même (et leur identification est à peu près standardisée) ; mais la hiérarchie et la fonction des séquences varie d’un réseau à l’autre, d’une cohérence à l’autre, de même que le sens de leur arrangement, de leur enchaînement ; et plus encore varie l’énoncé censé contenir et résumer la proposition globale, la formule focale livrant en quelque sorte l’identité générique du discours et constituant matériellement son centre de gravité – ici, la formule enjambant les vers 600-601 :« il n’est pas en notre pouvoir, ô Reine, de vous remercier dignement » et là le groupe verbal du début du vers 600 « vous voulez bien nous recueillir dans votre cité, dans votre maison ». Tant et si bien que le discours d’Énée peut à la fois servir de modèle exemplaire pour les remerciements en forme (genre discursif de l’actio gratiarum) et prendre ailleurs l’allure d’une requête (genre discursif de la petitio obliqua, de la requête indirecte14) ; il peut être de part en part quadrillé dans une forme « carrée » ou tendu entre deux formes bifurquant.
27Bref, où s’arrête ici l’analyse et où commence l’interprétation ? Où placer le curseur entre une expérience lectoriale de formalisation et une pratique herméneutique de la décision engageant le sens du texte ? La pratique du commentaire rhétorique a ceci de particulièrement « louche » qu’elle se situe au carrefour de toutes les préventions : le choix des formes de l’argumentation engage le sens du texte ; l’analyse construit l’exemplarité (la monumentalité) du discours tout autant que l’exemplification d’un certain nombre de formes ; elle est dans l’assertion et le remarquage (elle décrit un état de choses mémorable) plus que dans la proposition et dans la pluralisation. Faut-il s’étonner dès lors qu’elle s’effectue sous la forme d’un commentaire citationnel ? Peut-être après tout n’avons-nous pas là d’analyse du tout, mais une pratique interprétative adaptée à un relecteur rhétoricien.
Le commentaire rhétorique : existence, résistance
28Bien évidemment, il n’en est rien. Pourquoi ?
29Tout d’abord parce que le geste d’analyse des formes est ici radicalement étranger à un travail d’explicitation herméneutique. D’un côté en effet, ce que Genette appelait la « reprise herméneutique du sens » relève à la fois de la synonymie et de l’amplification, du déploiement répétitif, bref, de l’explication15 (laquelle est généralement, dans la pratique ancienne, une spéculation sur les intentions ou les finalités) ; de l’autre en revanche, la décision d’une forme peut bien se nommer interprétation, c’est d’abord au sens (logique) où chaque forme attestée interprète et applique la forme-type ; et c’est ensuite au sens où la décision d’une forme consiste stricto sensu à mettre en forme le sémantisme et à le ponctuer pour en négocier l’intelligibilité16.
30À ce titre, toute décision de forme engage le sens du texte17, son identification : qu’il s’agisse de l’identité d’un argument (quel ressort mobilise-t-il ?), de l’identité d’une partie (y a-t-il ou non une partie dévolue à la promesse de gratitude ?), ou plus encore de l’identité de l’ensemble du réseau et du dessein propositionnel. L’outillage rhétorique – qu’il soit lieu, partie, proposition, canevas-type – est à la fois un puissant opérateur pour marquer dans le fil du texte, dans son déroulé sémantique, des cellules syntagmatiques, des réseaux, des raccordements, bref, pour mettre en formes le texte ; et en même temps il constitue un formidable réservoir de propositions modélisatrices, susceptibles de corréler les réseaux à des canevas exemplaires et la mise en forme à une intention sémantique.
31La modélisation n’est donc assurément pas sémantiquement neutre mais il n’empêche qu’elle n’a pas grand-chose à voir avec la pratique de l’explication et qu’il y a deux gestes opérationnels complétement distincts, l’interprétation façon engagement des formes dans le déroulé sémantique d’un texte d’une part ; l’interprétation façon explicitation de l’intentionnalité et de la finalité idéologiques du texte d’autre part – avec un renversement complet des focales, ici sur le raffinement de la modélisation formelle, là sur l’explicitation de ce dont les formes et les thèmes sont les indices. Ce ne sont pas les mêmes objets de savoir qui sont travaillés et ce ne sont pas non plus les mêmes compétences ni les mêmes savoir-faire qui sont requis de part et d’autre.
32Ainsi décrite quant à son objet (son champ de savoir), la modélisation rhétorique d’un texte particulier est susceptible de résister aux autres raisons qu’il y aurait de l’assimiler à la paraphrase herméneutique, tant du point de vue des motivations idéologiques que des méthodes.
33Tout d’abord, elle prend certes la forme d’un commentaire juxtalinéaire et opère ainsi une focale sur un texte spécifique, mais cela ne suffit pas à en faire une lecture critique (au sens genettien) ou à sceller son appartenance à une « culture du texte » (au sens charlien) : ce serait de fait confondre deux processus – la monumentalité (dans la culture du texte) et l’exemplarité (dans la culture rhétorique) –, deux processus qui, tout en ayant chacun à voir avec la négociation d’une identité et d’une mémoire culturelles, ne sauraient cependant être assimilés. D’un côté, la confortation de la textualité et sa singularisation proprement infinie (laquelle peut parfois utiliser le relevé des formes : mais on sait bien qu’il ne suffit pas de décrire pour être dans l’analyse théorique18…) ; de l’autre une valorisation des formes exemplifiées en formes modèles – modèles pour identifier, préciser et mémoriser des formes, modèles pour produire d’autres textes.
34La focalisation rhétorique sur des textes exemplaires est intrinsèquement liée à une idéologie de la productivité discursive, inscrivant les textes exemplaires dans des séries formelles dont ils sont un opérateur de mémorisation et qui sont fondamentalement ouvertes – ouvertes à l’imitation (c’est-à-dire à la transformation, si j’ai lu attentivement Palimpsestes), ouvertes vers les actualisations à venir.
35C’est également à cette aune qu’il faut mesurer le geste de fixation des formes, inhérent à la rhétorique normative : assurément l’analyse rhétorique ancienne fonctionne par décision d’une forme (d’un ensemble de formes organisé en un schéma cohérent) pour rendre compte d’un texte tel que le discours du Prince Énée. Quand quatre rhétoriciens s’accordent pour reconnaître en lui une division en deux parties, lesquelles organisent conventionnellement le genre du discours de remerciements (l’amplification du bienfait reçu, la promesse de gratitude), ils referment le texte sur un état de fait implicitement objectivé. On est bien ici dans la validation d’une hypothèse modélisatrice, dans l’actualisation d’un possible d’une forme contre tous les autres. La tentation est grande d’assimiler ce geste à un premier basculement dans l’interprétation, tandis que l’analyse théorique en revanche s’émanciperait de l’engagement herméneutique en s’en tenant au seul repérage des possibles, moment formel libérateur s’il en est, comme l’écrit Denis Thouard dans son récent Herméneutique critique : Bollack, Szondi, Celan19. Ou pour le dire selon les catégories explicitées dans L’Arbre et la Source, le commentaire rhétorique renouerait ici avec la culture de l’autorité du texte et de sa clôture dans une cohérence littéralement parfaite, là où l’expérimentation rhétorique (au sens où Michel Charles emploie le terme) déferait le texte en le déstabilisant, en l’ouvrant sur des dés/organisations concurrentes, sur une pluralité de possibles.
36Sauf qu’à y bien regarder, la fixation des formes s’accompagne ici de leur sérialisation (sur d’autres textes exemplifiant les mêmes formes, ou sur d’autres formes corrélées). C’est ainsi que le discours du Prince Énée est solidaire de trois discours de Cicéron exemplifiant les remerciements (le Post reditum ad Quirites, le Post reditum in Senatu et le Pro Marcello), comme il entre en résonnance, par la forme de son exorde, avec les allocutions d’arrivée, et par la forme de son épilogue, avec les requêtes obliques. Autrement dit, en travaillant la productivité du texte par le biais de sa formalisation, l’analyse rhétorique normative décline autrement la requête de pluralisation : non par précarisation du texte et décohésion, mais par immersion dans la bibliothèque des exemples et des architextes ; non par la possibilisation des formes, mais par leur sérialisation.
37Nous pouvons alors reprendre le fil de notre propos : nous sommes ici en présence de commentaires linéaires focalisés sur un texte et prenant un certain nombre de décisions engageant sa modélisation et la description de son état actuel. Il n’en reste pas moins que les opérations rhétoriques qu’ils engagent sont fondamentalement liées à un travail de la productivité discursive, qui ouvre le texte sur des séries et fait de cet art de relire le prolégomène à tout art d’écrire.
38Ce qui veut (bien) dire qu’il ne sert à rien de vouloir assimiler ce qui résiste et que tout en étant dans un commentaire juxtalinéaire, l’analyse de texte dans la rhétorique ancienne reste du côté de la pratique théorique en ce qu’elle a d’incommensurable avec l’herméneutique. Le clivage entre analyses théoriciennes et lectures interprétatives n’est pas qu’une (mauvaise) histoire. Il est un bon programme, un programme opérationnel de distinction des discours métatextuels (et des gestes professionnels qui les produisent).
Des textes et des métatextes
39Mais il y a plus grave, on l’aura deviné : tout va bien lorsque les objets, les méthodes et les finalités épistémologiques sont séparables et séparés et qu’il y a lieu de distinguer entre commentaire et commentaire, je veux dire commentaire travaillant à la productivité des textes et commentaire travaillant à leur autorité.
40Mais il arrive qu’il existe des pratiques herméneutiques tournées vers la création et l’invention des possibles (confer les propositions de Sophie Rabau sur le travail philologique), vers la variation et la défamiliarisation (confer les travaux d’Yves Citton sur l’actualisation lectoriale), des pratiques herméneutiques qui intègrent ainsi une part de la contestation des textes et des méthodologies de possibilisation ; de même que sont attestées, plus loin dans le temps, des pratiques commentatrices qui n’établissent pas de coupure entre travail herméneutique et travail rhétorique, confortation d’un texte dans son exception et intégration du texte dans une pluralité concurrentielle, lecture en symbiose et lecture à distance20.
41Comme si, aujourd’hui tout autant qu’hier, l’étude de texte – l’étude du matériau textuel – était un élément transcendant les partages et les clivages, un lieu d’accueil de pratiques hétérogènes (philologie, interprétation, rhétorique et quelques autres…), un espace pragmatique (et institutionnel) de rencontre des discours plus que de séparation.
42Mon hypothèse sera que le commentaire est la version hyperbolique de tout métatexte fondé sur une expérience de relecture, c’est-à-dire de toute critique qui fait référence à « du » texte, qui prend en charge un texte (dans son sens de textus, d’énoncé tissé), et ce, dans sa dimension paradigmatique comme dans sa dimension syntagmatique. Parler du commentaire, ce n’est pas parler d’une modalité critique contre une autre, c’est réfléchir sur le propre de la critique en tant qu’elle est fondamentalement dans une relation de méta/textualité. Tout métatexte a partie liée avec le commentaire parce que par définition, le métatexte parle du texte. Dès lors la forme commentatrice (citationnelle) n’est pas qu’une forme motivée contextuellement par des impératifs pragmatiques d’intelligibilité (rassembler les remarques au plus près du texte remarqué, entrelacer le métatexte et le texte) ni une forme légitimée culturellement par des raisons idéologiques – autorité vs productivité du texte. Elle est la matérialisation sensible d’un certain nombre d’opérations cognitives inhérentes à toute relation proprement métatextuelle, à toute étude de texte, à toute lecture professionnelle (nous dirons ici : à la « relecture ») d’un texte, qu’elle soit interprétative ou analytique.
43Et j’ajouterai pour compléter mon hypothèse de travail que l’ensemble de ces opérations métatextuelles (y compris du côté des lectures les plus exclusivement herméneutiques) me semblent alors fondamentalement en décalage avec tout ce qui serait de l’ordre de la préservation des textes et de leur sanctuarisation (autrement dit de leur patrimonialisation) parce qu’elles sont, de façon identitaire, des pratiques interventionnistes. Je dirai en effet que de façon native, originairement, le discours métatextuel est ce qui résulte d’un art de re-lire le texte en intervenant massivement sur le texte – en le dé-liant. Et la déliaison a à voir avec une déformation de la textualité qui est, à tout prendre, l’autre face de sa mise en forme.
44Ce qui est en jeu ici n’est pas tout à fait l’extension du domaine du commentaire à tout métatexte ni inversement l’extension du domaine de la formalisation à tout commentaire, fût-il éminemment herméneutique (quoique) mais une réflexion sur les déplacements culturels (les enjeux idéologiques) et leurs conséquences méthodologiques pour penser une typologie intégrative des gestes critiques, dans la mesure où, pour en rester à notre actualité, le rapport de notre culture à ses textes perd peut-être de son évidence et où émergent par conséquent des stratégies de salut passablement divergentes.
Pour une théorie intégrative de la relecture
45Disons qu’ici, nous allons faire bouger les lignes : et par exemple, ne plus analyser les métatextes en termes de discours – les évaluant qui par rapport à leurs objets, leurs méthodes, leurs raisons… –, mais revenir en arrière, en amont, et les ressaisir comme la mise au propre d’un travail, l’écriture d’une relecture. Cela nous permettra de déporter le regard des formes et des contenus du métatexte vers ce dont le métatexte garde la trace : la présence de sa lecture, le souvenir du texte. Ou pour le dire autrement, ce qui va ici nous intéresser, ce n’est pas le discours métatextuel, c’est le dispositif métatextuel comme dispositif de relecture21, en tant qu’il rompt avec le mouvement de la lecture cursive et des aménagements sur le matériau textuel.
46Parler de dispositif métatextuel, c’est donc convoquer l’ensemble formé par le texte et le métatexte pour y voir à l’œuvre une relecture. C’est envisager le métatexte comme processus de réorganisation du matériau textuel par sa relecture (et par une relecture que je dirai construite, experte, professionnelle : finalisée dans une écriture). C’est ramener la production métatextuelle à une pratique d’intervention dans la lecture d’un texte sans toucher à la lettre du texte. C’est ouvrir la gamme des interventions sur le texte à d’autres processus que les interventions auctoriales (qu’elles soient autographes ou allographes). C’est reconnaître dans les textes critiques – les métatextes – une efficience sur la textualité qui cependant respecte la hiérarchie texte primaire / texte secondaire et ne passe pas par des processus de récriture textuelle.
47J’appellerai par conséquent dispositif métatextuel toute opération relectoriale qui prend en charge du texte, toute intervention artificielle (technique22) sur le syntagme textuel qui ne passe pas par une transformation de la lettre du texte. Et j’essaierai de substituer aux typologies des discours métatextuels une typologie des dispositifs métatextuels ordonnée selon les modalités d’intervention sur le syntagme textuel.
48Autrement dit, je m’interrogerai sur ce que le métatexte fait au texte (au tissu du texte, à son déroulé, à sa matérialité) indépendamment de ce qu’il en dit.
49Je noterai au passage qu’une telle proposition ne va pas de soi pour parler des métatextes en général (et non pas uniquement des métatextes interprétatifs) puisqu’il est habituellement reçu que la théorisation ne travaille pas sur du textuel mais uniquement dans l’architextuel, sur les catégories transcendantes que sont les formes, les fonctionnements, les procédures :
Le discours rhétorique ne suppose pas, dans son principe, une connaissance particulière des textes dont il se sert pour s’établir ; à la différence du commentaire, justement, il n’est pas citationnel […]. On dira ici que la généralité de l’objet sert la visée autonome de ce discours23.
50Si l’analyse théorique peut se focaliser sur un texte, ce ne serait donc qu’au titre de l’expérimentation des catégories transcendantes : elle travaillerait essentiellement le texte dans sa dimension paradigmatique, indifférente à sa matérialité syntagmatique (pas de citation !). Ce point de vue peut se défendre, mais à mon avis, les choses sont un peu plus complexes : que le métatexte reprenne un passage textuel littéralement ou en en faisant le résumé, c’est effectivement très différent du point de vue idéologique (dans ce que cela suppose de respect du texte ou de mise en concurrence) mais ce n’est pas essentiellement différent, d’un point de vue épistémologique : il reste dans la référenciation, il travaille à bâtir son discours sur cette référence. Le nier reviendrait à soutenir qu’il est possible pour le théoricien de construire des notions opératoires « hors-sol », indépendamment des textes qui lui ont permis de les identifier, de les conceptualiser, de les tester, de les affiner. Quand Genette fait référence à la petite cousine sur canapé, il fait quelque chose d’un passage textuel, il fait de la narratologie (et il n’est pas que dans la pédagogie : clairement le passage en question a été construit comme cas exemplaire de deux séries exemplificatrices : analepse sur paralipse…). Quand Fontanier fait référence à Phèdre (« Oui, Prince, je languis, etc.), ce n’est pas que pour exemplifier la métalepse : c’est en amont pour la penser (à sa façon24). Alors, que Genette et Fontanier ne travaillent pas sur le syntagme de la même façon qu’un Jean-Pierre Richard ou qu’un Landino (exégète de Virgile à la Renaissance) est une évidence ; mais que tous les quatre prennent en charge quelque chose du texte en intervenant sur le syntagme en est une autre.
51Car il s’agit bien ici d’étendre le geste de référenciation à toute pratique métatextuelle, de la plus citationnelle à la plus distancée : titres, manchettes, en-têtes, résumés, notes, commentaires interlinéaires, commentaires autonomisés, traités définitionnels, discours théoriques, tous, dès lors qu’ils font référence à du texte, négocient à la fois leur dimension métatextuelle et leur dimension relectoriale ; tous exemplifient un dispositif d’intervention sur le matériau textuel tout autant qu’ils dénotent un certain nombre de propositions sur le texte (ou sur des textes, du texte, etc.). Tous mettent en œuvre une prise en charge professionnelle du texte qui a des conséquences sur la textualité elle-même et pas seulement sur les contenus critiques qu’ils élaborent. Tous font quelque chose du texte avant que de faire quelque chose de leur propre discours.
Ce que tout métatexte fait au texte
52Reprenons d’un peu plus près (du texte). Une des formes du commentaire juxtalinéaire, l’annotation philologique, nous servira ici de paradigme sensible, de matérialisation visuelle pour ces dispositifs immatériels que sont les dispositifs métatextuels25.
53Je lis donc quelques vers de Virgile et un appel de note me propose de m’interrompre. En lectrice idéale, à la fois compétente et coopérative (nous mettrons ici de côté les résistances, déviations, et autres réalités de la lecture ordinaire, de la lecture en liberté), « je » m’interromps donc, me déporte vers la lecture de la note, reviens au texte dont elle est l’annotation pour mieux en mesurer la portée, relis cette séquence, lis la note, referme son espace et reprends ma lecture de la suite du texte. Rien de plus, mais rien de moins.
54Je dirai que le dispositif relectorial est ici exhibé dans son intégralité : il délimite l’insertion et l’extension de sa référenciation, il négocie la lecture cursive, l’interrompant, la dupliquant, la reprenant ; il multiplie les cotextes pertinents pour une cellule textuelle donnée, qu’il s’agisse des cotextes amont ou aval. Dans le premier cas on parlera d’un dispositif de référenciation ; dans le deuxième, d’un dispositif de scansion textuelle ; dans le troisième, d’un dispositif de parallélisation cotextuelle.
55Premier point, donc, en quoi le dispositif métatextuel de référenciation est-il une intervention sur le texte ? Comme le montrent les différents types d’annotation et de citation (de la plus précise : citation in extenso ; à des formes moins lourdes : appel de note et note infrapaginale ; et jusqu’aux plus modalités les plus distancées : évocation d’un passage textuel par une mention, un titre, un mot), la référence à un syntagme textuel nous invite (idéalement : nous oblige) à deux manipulations sur le tissu textuel : nous le coupons (à l’endroit du point d’insertion) et nous délimitons l’extension du point d’impact (le métatexte porte-t-il sur un mot ? un paragraphe ? un épisode26...). Autrement dit, toute référenciation, aussi distancée et non citationnelle soit-elle, nous amène à identifier un espace défini du tissu textuel, à introduire dans le tissu textuel un morcellement et une focalisation – que la citation exhibe de façon archétypale, elle qui « restitue » (à vrai dire, qui institue ) un « morceau » du texte. Retenons-en qu’en tant qu’il est un dispositif référentiel, le métatexte introduit dans le syntagme du texte un séquençage ; il opère ce faisant un aménagement de la cursivité textuelle ; et la mise en forme du texte qu’il produit est une structuration par délimitation.
56Et l’on divisera alors les dispositifs métatextuels en plusieurs catégories dont les deux premières sont de fait solidaires : il y a ceux qui interviennent sur le texte en le séquençant : exemples dans les traités, citations dans les commentaires… ; il y a ceux qui portent sur la globalité du texte et l’idée que le texte forme un tout : titres, descriptions sommaires… ; et, en rupture, il y a ceux qui ne prennent absolument pas en charge une référenciation au tissu textuel (qu’elle passe par un séquençage local ou une délimitation globale) parce qu’ils portent sur des éléments paradigmatiques (psychologie d’un personnage, intention auctoriale, finalité idéologique, contextes institutionnels…), et en restent par conséquent dans une stratégie d’évocation plus que de référenciation.
57Deuxième point, en quoi le dispositif métatextuel de scansion textuelle est-il une intervention sur le matériau textuel ? Très clairement, l’irruption d’un métatexte suspend (temporairement ou définitivement) la poursuite du texte et introduit dans le temps de ma lecture des lectures supplémentaires : qu’il s’agisse d’une nouvelle lecture de la séquence commentée (ce qu’on appelle habituellement une relecture) ou de la lecture de la séquence de commentaire. Le dispositif métatextuel resynchronise ainsi le texte en interpolant des interruptions et un certain nombre de lectures désynchronisées (lectures réitératives et récursives, lectures additionnelles). Il ponctue donc le texte par des effets de suspension, de reprise et d’allongement. Retenons-en qu’en tant qu’il est un dispositif de scansion du texte, le métatexte introduit dans la dynamique textuelle une ponctuation musicale ; il opère ce faisant un aménagement de la temporalité lectoriale (de la durée et de la vitesse de ma lecture) ; et la mise en forme du texte qu’il produit est une structuration par rythmisation.
58L’on distinguera alors entre les dispositifs qui ont dans l’ellipse pure et simple de la dynamique textuelle (quand un traité sélectionne un extrait sans raccord avec l’amont ni l’aval et produit ainsi une lecture interrumpta) et les dispositifs qui sont dans la scansion de la dynamique textuelle ; et parmi ces derniers, on pourra distinguer deux types de dispositifs de scansion : soit qu’ils négocient une gestion de l’interruption et de la reprise du texte sur le mode de la transition (au cinéma on dirait : du « fondu enchaîné ») ; soit qu’ils l’effectuent sur le mode du « raccord cut ». Premier cas, parce qu’il est dans le déploiement répétitif (comme nous l’avons vu plus haut), le métatexte explicatif s’écrit en effet en continuité avec le texte, qu’il double par une paraphrase à valeur synonymique – d’où la possibilité d’inscrire dans la suite du texte le commentaire explicatif, et dans la suite du commentaire la reprise et la poursuite du texte. À l’inverse, deuxième cas, le commentaire descriptif (analytique) ne ménage aucun espace transitionnel, lui qui ne redouble pas le texte amont ni ne prépare le texte aval. D’un côté, nous avons une interpolation enchaînée, de l’autre une interpolation disruptive.
59Troisième point, enfin, en quoi le dispositif métatextuel de parallélisation cotextuelle est-il une intervention sur le texte ? L’étoilement du texte sur des séquences métatextuelles n’arrête pas de le décontextualiser et de le recontextualiser, la chose est connue : non seulement la séquence textuelle est mise en réseau avec la séquence métatextuelle, selon une hiérarchie qui peut préserver le texte dans un statut recteur ou le subordonner ; mais ce n’est pas de cela dont il s’agira ici. En effet, plus décisif ici quant à la forme du texte commenté, il peut exister des coordinations, introduites par le dispositif métatextuel, entre les séquences textuelles commentées, négociant ainsi entre elles un cotexte.
60Deux modes de fabrication du cotexte (de coordination des séquences textuelles via la coordination des séquences métatextuelles) peuvent alors être distingués : soit selon l’ordre que suit l’argumentation métatextuelle (on dira pour aller vite : selon l’ordre du métatexte) ; soit l’ordre que le métatexte donne au texte, c’est-à-dire tout aussi bien selon l’idée générale que le métatexte construit du texte (on dira pour aller vite : selon l’ordre du texte). D’un côté, deux séquences textuelles qui ne sont pas à la suite l’une de l’autre peuvent en effet être mises en relation parce que les séquences métatextuelles qui les commentent sont coordonnées dans l’argumentaire (cas de redistribution du texte selon l’ordre du métatexte : voir J.-P. Richard). De l’autre côté, deux séquences textuelles se succédant peuvent être mises en relation sémantiquement pertinentes parce que les séquences métatextuelles qui les commentent prennent en charge une réflexion sur leur place et leur ordre dans un ensemble plus global (cas de construction d’une coordination raisonnée des séquences textuelles qui se succèdent : voir les mentions telles que « incipit », « exorde », « dénouement », « péroraison », etc.).
61Dans les deux cas, nous retiendrons que le métatexte est un dispositif de parallélisation des séquences textuelles qui aboutit à un montage du texte (par redistribution et/ou coordination) ; il opère ce faisant un aménagement des cotextes ; et la mise en forme du texte qu’il produit est une structuration par mise en réseau.
62L’on voit dès lors en quoi appréhender le métatexte comme dispositif relectorial revient à en souligner la force réorganisatrice : avant que de produire un discours plus ou moins autonomisable, plus ou moins subordonné, le dispositif métatextuel intervient massivement sur la textualité sans en transformer la lettre, grâce à tout un travail de mise en forme, nous dirons de formalisation – qu’elle s’effectue par une mise en séquences, par une mise en rythmes ou par une mise en réseaux des énoncés textuels. On dira que mettre en fiches le texte est loin d’être une opération blanche, sans conséquences sur le texte : c’est sans doute la façon la plus partagée de mettre le texte à distance, et de le recomposer.
Typologie des métatextes : paysage avec chênes, roseaux et ruisseaux
63Il est bien évidemment possible de décliner à partir de là toute une typologie des dispositifs métatextuels selon les opérations de formalisation qu’ils prennent ou non en charge. Avec deux contraintes logique : la première est que l’intervention par référenciation et séquençage, fonctionne en quelque sorte comme connecteur : soit l’on travaille le matériau textuel dans une relecture professionnelle, soit l’on ne travaille pas sur le texte, mais sur des enjeux contextuels, ce qui permet d’en rester à un régime d’évocation. Et la seconde contrainte logique est que soit l’on intervient pour prendre en charge le continuum textuel par des opérations de scansion et de cotextualisation, soit on ne prend en charge qu’un extrait « sec ». En conséquence, il est possible de répertorier dix cas, que l’on peut lister selon un ordre croissant de formalisation opérée sur le texte :
Dispositifs métatextuels non interventionnistes 1. Dispositifs métatextuels sans intervention sur le syntagme par référenciation (sans délimitation locale ni globale) : le discours critique contextuel (métatexte allusif : ex. Taine sur La Fontaine). Il s’agit là du degré zéro de la mise en forme du tissu textuel.
Dispositifs interventionnistes par seul séquençage du texte2. Dispositifs métatextuels des exempliers, opérant seulement une sélection (extraction sèche d’une référence mais sans intervention sur le rythme de la lecture textuelle ni sur le travail de la coordination des énoncés cotextuels) : les références dans les traités et les discours théoriques, dont on sait que la prise en charge d’un texte continu n’est pas leur objet (ex. : Quintilien, Vossius, Genette).
Dispositifs interventionnistes par séquençage et une seule autre opération (ou coordination des énoncés textuels, ou scansion de la dynamique textuelle)
3. & 4. Dispositifs métatextuels de cadrage, opérant un séquençage du texte et une coordination cotextuelle, mais sans interpoler sur la temporalité de la lecture cursive (en ce qu’ils sont des métatextes non interruptifs ) : premier cas, séquençage local et coordination des énoncés textuels selon l’ordre du texte, avec les résumés et synopsis ; second cas séquençage global et cohésion des énoncés textuels selon la logique du métatexte (l’idée générale qu’il projette du texte) avec les titres et en-têtes descriptifs.
5. & 6. Dispositifs métatextuels discontinus (annotations), opérant un séquençage des énoncés et une scansion de la dynamique textuelle – mais sans négocier, dans le métatexte, de coordination entre deux séquences du texte : premier cas, séquençage et interpolation transitionnelle avec les notes philologiques (ex. : le grammairien Servius sur Virgile) ; deuxième cas, séquençage et interpolation disruptive avec les notes ponctuelles analytiques (ex. : Fontanier sur Racine27).
Dispositifs interventionnistes par séquençage, coordination et scansion des énoncés textuels :7. Dispositifs métatextuels opérant sur le texte un séquençage, une scansion transitionnelle et une coordination cotextuelle selon l’ordre du texte : le commentaire interprétatif suivi (juxtalinéaire). Ex. : le commentaire moral et politique de Landino sur Virgile.
8. Dispositifs métatextuels opérant sur le texte un séquençage, une scansion transitionnelle et une coordination cotextuelle selon l’ordre du métatexte : le discours interprétatif recomposé (ex. : Jean-Pierre Richard).
9. Dispositifs métatextuels opérant sur le texte un séquençage, une scansion disruptive et une coordination cotextuelle selon l’ordre du texte (selon l’ordre que le métatexte construit du texte) : le commentaire rhétorique suivi (ou juxtalinéaire). Ex. : les analyses de Ferrazzi sur les discours de l’Énéide.
10. Dispositifs métatextuels opérant un séquençage, une scansion disruptive et une coordination cotextuelle selon l’ordre du métatexte : le discours analytique recomposé, qui redistribue les séquences selon l’ordre de son argumentaire. Ex. : la narratologie thématique (V. Propp).
64Ce qui pourrait donner le tableau suivant, où l’on percevra mieux à la fois ce qu’un geste critique peut avoir en commun avec un autre, et ce que la pensée du dispositif induit en termes d’intégration de toutes les pratiques de prise en charge du matériau textuel et en termes d’échelonnement, de progressivité dans les modalités d’intervention de la relecture (sur la forme du texte) :
65Bilan intermédiaire, celui qui croyait au texte, celui qui n’y croyait pas, tous deux, et quelques autres avec eux, sont de façon identitaire dans trois démarches : une démarche de relecture professionnelle (de prise en charge élaborée du texte), une démarche d’intervention dans la textualité (de recomposition de la textualité) ; une démarche de formalisation textuelle (de mise en forme du sémantisme). Voilà qui me paraît décisif.
Début pour une autre histoire. La rose et le réséda
66Reprenons donc une dernière fois, avant que de conclure. Nous avons d’abord, du côté des herméneutes comme des théoriciens, des philologues comme des éditeurs et des rhétoriciens, une pratique en commun : celle d’une relecture professionnelle en rupture avec l’expérience de lecture courante. La rupture ici est double : d’abord parce que la relecture introduit une interruption et un bouleversement dans l’ordre de la lecture ; ensuite parce que la relecture est en rupture avec le paradigme de l’immersion lectoriale dont on sait combien il a été récemment promu. Dans un texte fameux, Lanson disait à peu près que le premier homme qui, « écoutant ou lisant un poème, a voulu savoir le nom de l’auteur », a écarté « la littérature de sa fonction naturelle […]. Il faisait le premier geste professionnel28 ». Nous pourrions dire tout aussi justement : le premier homme qui a relu un texte l’a écarté de sa fonction naturelle. La pratique de la relecture est assurément contrastée et mériterait à elle seule une théorisation un peu systématique, par exemple selon ses finalités et ses modalités, selon que le texte la programme ou le contexte, etc. ; mais il y a tout lieu de croire que le paradigme cognitif de l’expérience lectoriale non seulement n’est guère opérant dans la pratique relectoriale, mais qu’il est en décalage complet avec les enjeux cognitifs et émotifs de la relecture29.
67Et parmi toutes les pratiques possibles ou attestées de la relecture, celle sur laquelle nous nous sommes ici focalisée, la relecture à finalité épistémologique a précisément cela en propre – qui la différencie des régimes de critique contextuelle – qu’elle opère pour rendre compte de quelque chose de ce texte. Car rendre compte d’un passage textuel n’est pas spécifique d’un régime de relecture (par exemple l’interprétation) de même que son rejet n’est pas identitaire d’une pratique de la discursivité qui serait du côté du théorique. C’est là, de façon plus décisive, le connecteur entre deux disciplines différentes, les études de la textualité d’un côté (quelles que soient leurs raisons, méthodes et objets) ; les études qui prennent en charge les contextes pragmatiques et idéologiques d’autre part, indépendamment du matériau textuel. Ou pour le dire simplement, il existe une communauté épistémologiquement pertinente de relecteurs, ceux dont la relecture est une introduction… à l’étude des textes. Avec, comme horizon un désir de travailler – un peu méthodiquement – sur la textualité.
68Deuxième point, la relation métatextuelle met en place un dispositif complexe de prise en charge de la textualité, par un panel d’interventions sémantiquement pertinentes sur la forme du texte : soit qu’elle délimite et focalise une séquence ; soit qu’elle resynchronise le rythme du texte selon des processus de suspension, de récurrences et de reprise ; soit qu’elle parallélise les séquences textuelles en les coordonnant ou les redistribuant. Ces interventions, nommons-les par leur vrai nom : ce sont bel et bien des opérations de recomposition du texte. Elles aménagent l’organisation du texte dans l’espace et dans le temps, elles le modélisent et le reconfigurent – sans en changer la moindre lettre. Disons, sans insister pour ne pas semer le trouble, qu’il y a en tout relecteur professionnel – aussi humble et précautionneux soit-il – un compositeur qui souvent s’ignore et que le travail sur le texte commence nécessairement par sa mise à distance (son repérage, sa désynchronisation, sa cotextualisation)…
69Mais alors, troisième point, on ne peut guère éviter d’en avouer les suites : si la relecture à fin épistémologique prend en charge la textualité en la mettant en forme, c’est-à-dire en donnant forme à des séquences, des rythmes et des réseaux, elle s’avère donc structurellement du côté de la formalisation, et d’une formalisation intrusive. Les gestes de mise en forme qu’elle effectue ont en effet une incidence sur l’intelligibilité de la textualité : ils génèrent la lisibilité d’un syntagme textuel en donnant forme à son sens. On pourra tout aussi bien dire que toute relecture professionnelle prend en charge la forme du texte indépendamment de ses choix méthodologiques ou idéologiques. Ou, si l’on veut, avant que d’entrer dans l’élaboration d’un discours herméneutique ou analytique, toute relecture participe d’une rhétorique de la disposition en en exemplifiant les procédures spécifiques (divisio, transitio, ordo30). Et si cette rhétorique de la disposition – sur laquelle nous sommes plusieurs à avoir entrepris de réfléchir un peu systématiquement – gagne à être théorisée méthodiquement pour elle-même, il n’en reste moins qu’au niveau des pratiques, toute relecture professionnelle participe de cette rhétorique, de cet engagement dans la responsabilité du texte par la gestion de sa mise en forme.
70Parce qu’elle est formalisatrice, toute relecture professionnelle est dans la co-élaboration du tissage des énoncés, toute production métatextuelle – dès la première mention d’un seul extrait – est ipso facto une pratique active de (co)-production textuelle, tout métatexte est une actualisation forte d’un texte possible. Et si tant est qu’il en assume la part de risque, tout métatexte est à même de s’engager dans l’actualisation (re)créative du texte.
71On voit bien désormais où je veux en venir : dans la grande retraite de Russie où sont aujourd’hui embringuées les études de lettres, vaut-il mieux sauver les corpus ou les pratiques ? Les lettres ou les études ? Faut-il patrimonialiser ce qui est en perdition ou inventer une actualité à des pratiques ? Doit-on muséaliser la littérature ou actualiser nos arts et techniques de relecture ? Je sais, la présentation est un peu biaisée, mais c’est bien de cela dont il s’agit au fond, sans métaphore, dès lors que la culture du texte semble se décliner au passé.
72L’on sait en effet que stricto sensu, l’idée de patrimoine est liée à celle de perte avérée ou de disparition potentielle d’un objet matériel ou immatériel qui a été à un moment donné valorisé comme identitaire. C’est cela même qui légitime des opérations de conservation et d’exposition systématiques31. Mais la muséalisation entraîne alors un dispositif très particulier de conservation : le musée ne conserve pas en l’état les objets de culture, mais à part32. Parce qu’ils ont été valorisés comme éléments identitaires en danger, ils sont séparés de leur contexte pour être conservés, montrés, étudiés comme documents représentatifs33.
73Or, aujourd’hui, le constat peut être établi d’un recul progressif de la culture du texte. Il y a danger de disparition de quelque chose qui, à un moment donné, a été identitaire. D’où la question de la patrimonialisation. Car il n’est plus temps, je crois, d’en rester en amont, dans une défense du bien-fondé qu’il y aurait à lutter à contre-courant et à continuer à valoriser les « textes littéraires » comme éléments constitutifs, au présent, d’un discours de la révérence34 : la culture du texte, c’est-à-dire une culture dont l’identité passe par la négociation d’un rapport fort aux textes, à leur valeur et à leur autorité, semble bien en perte de vitesse – avec quelques autres autorités35.
74Mais se replier alors, dans une stratégie de sauvegarde, sur l’idée de patrimonialiser des textes que notre culture a un temps promus comme identitaires, c’est risquer de les mettre hors-sol, c’est vouloir les retirer de leur intrication sociale et les archiver, c’est en avouer la valeur passée et l’inactualité (l’inefficience) présente. Et c’est encore transformer les recherches sur les textes en expertises au service des opérations de catalogage et subordonner le professionnel de la relecture aux professionnels de la conservation des collections. Pourquoi pas, en effet – et je sens déjà poindre ici et là des vocations de conservateur en chef. Mais on peut plaider pour au moins une autre stratégie (et peut-être deux).
75Tout d’abord, on peut résister à la tentation muséale en continuant à faire quelque chose avec les textes qui ne soit pas uniquement une fabrique de leur histoire. On peut ne pas déménager les textes dans les cartons des antiquaires et les laisser encore un peu dans la bibliothèque. Et loin de nous replier sur la mémoire et l’archéologie des pratiques lectoriales et relectoriales, on peut en tenir pour une défense de nos disciplines comme arts vivants, comme techniques toujours d’actualité de labourage et d’arpentage du matériau textuel (qu’il soit identitaire ou non : je veux dire indépendamment de la question de sa valeur), comme pratiques professionnelles dédiées à l’étude de la textualité.
76Par là même, on peut plaider pour en accentuer la part vive et créatrice, pour en assumer plus consciemment et plus audacieusement peut-être la portée interventionniste et formalisatrice dont on a vu qu’elle en est une dimension fondamentale – bref, pour éprouver l’inventivité textuelle inhérente à toute relecture professionnelle et la partager. Voilà assurément qui aurait de quoi entrer en résonnance avec une culture qui de son côté est également en passe de faire prévaloir la production des discours sur l’identification de ses références.
77Par-delà les clivages et les oppositions – entre interprétation et description, discours commentateur et discours rhétorique, critique littéraire et théorie –, le geste décisif est donc d’en arriver à promouvoir haut et fort l’idée d’une lecture experte, interventionniste et créatrice, l’idée d’un travail sur la textualité qui soit tourné vers la productivité et la prise en charge active du matériau textuel. En ce sens, notre discipline a certes à gérer l’actualité difficile de la littérature – mais défions-nous de la tentation patrimoniale. Car les études de lettres trouvent leur identité et leur valeur dans un mythe, au sens le plus noble, à savoir que mieux on lit et plus on lit, qu’il y a un itinéraire et une ascèse dans la compétence lectoriale, et que la relecture, tout comme la littérature, est elle aussi – au bout du chemin – une « aventure d’être36 ».
78Telle est l’histoire qui s’ouvre à nous et nous attend, me semble-t-il, dès lors qu’on se donne comme légitimité d’étudier le matériau textuel, que l’on soit plutôt rhétorique ou plutôt interprétation. – Ou comme disait le Poète (sur une toute autre affaire, mais qui sait),
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda.
79Octobre 2013 – Février 2014