(Re)lire les textes poétiques de Guy Goffette au prisme d’autres œuvres
Bref panorama bibliographique des études goffettiennes
1S’il publie son premier recueil poétique en 1971, Guy Goffette devient véritablement prolifique au début des années 1980 avec, notamment, la publication de quatre recueils pour la seule année 1983. D’emblée, il est reconnu par la critique : en 1984, tandis que son recueil Solo d’ombres reçoit le Prix Guy Lévis-Mano, un numéro de la revue Sincère poésie lui est consacré et, en 1988, Jacques Borel rédige la postface d’Éloge pour une cuisine de province, recueil qui marque véritablement son entrée en littérature selon Christine Dupouy (p. 5). Dès cette époque, son travail d’écriture est récompensé par de nombreux prix, dont celui de l’Académie française en 2001 et le Goncourt de poésie en 2010 pour l’ensemble de son œuvre. Il faut cependant attendre cette dernière période pour que la critique universitaire commence à se pencher sur ses textes – bien qu’il ait été remarqué très tôt comme l’un des représentants du nouveau lyrisme, tendance qui apparaît dans la poésie française au début des années 1980 et dans laquelle le poète ne se reconnaît pas (p. 136) – nous y reviendrons. En effet, comme en témoigne Claire Habig, lorsqu’en 2009 elle entreprend sa thèse consacrée à la musicalité de l’écriture de trois poètes francophones dont Guy Goffette1, « il n’y avait aucune étude de grande ampleur consacrée à ce poète » (p. 97) : seuls quelques articles ponctuels, des mémoires de maîtrise difficilement accessibles et deux numéros de revues – outre celui de Sincère poésie, un de Littératures publié en 2007 sous la direction de Jean-Pierre Zubiate2 – étaient dédiés à l’écrivain.
2Un peu moins de quinze ans plus tard, cette brève bibliographie s’est peu étoffée ainsi que le confirme Christine Dupouy dans l’avant-propos d’Éloge pour une poésie de province en citant les trois et uniques monographies consacrées au poète belge (p. 6) : au fondamental numéro de Littératures s’ajoutent deux ouvrages parus en 2012, un collectif intitulé Guy Goffette ou la poésie promise coordonné par Jean-Michel Maulpoix et Isabelle Autran3, qui rassemble des textes écrits par des étudiants, des critiques et des poètes, et un essai d’Yves Leclair, Guy Goffette sans légende4, dans lequel l’auteur passe en revue, dans l’ordre de leur parution, les œuvres de l’écrivain belge et propose pour chacune d’elle une brève et éclairante analyse. Il faut encore joindre à ces études des travaux plus récents, non mentionnés dans l’avant-propos car il ne s’agit pas de monographies, mais essentiels dans l’exploration de l’œuvre goffettienne : la thèse de Claire Habig défendue en 2016 et publiée aux éditions Hermann en 2021, quelques études consacrées aux « fictions biographiques5 » du poète, un dossier dans la revue Nunc coordonné par Yves Leclair6 et, dernière publication dédiée au poète belge avant la parution du livre qui nous occupe, un article d’Irati Fernández Erquicia qui se penche sur le quotidien comme source du lyrisme goffettien7. Éloge pour une poésie de province s’ajoute donc à une bibliographie peu fournie, mais abordant déjà l’œuvre goffettienne sous des angles essentiels, et démontre que le poète n’a pas encore reçu les égards suffisants de la critique grâce à des apports stimulants proposant de nouvelles pistes de recherche et de nouvelles approches.
(Re)lire les poèmes de Goffette au prisme d’autres œuvres
3Éloge pour une poésie de province émane d’une journée d’étude organisée par Christine Dupouy à l’Université de Tours en octobre 2019 en présence de Guy Goffette (p. 6). Contrairement à ce qu’elle affichait dans son programme, cette journée n’était pas la « première manifestation universitaire de ce type » consacrée à l’écrivain puisque Jean-Michel Maulpoix avait orchestré le premier colloque lui étant dédié en février 2008 à Paris X-Nanterre8, mais c’est la première rencontre le concernant qui aboutit à une publication.
4Les contributeurs ont centré leurs travaux sur les poèmes de Guy Goffette, du recueil Solo d’ombres (1983) à Petits riens pour jours absolus (2016), en n’hésitant toutefois pas à recourir et aborder d’autres œuvres, les plus fréquemment convoquées étant Elle, par bonheur, et toujours nue (1998) et Auden ou l’œil de la baleine (2005). Ainsi, l’ensemble des études propose une « traversée », non chronologique, de l’œuvre poétique goffettienne – à laquelle s’ajoute Elle, par bonheur, et toujours nue évoqué brièvement par Serge Bourjea (p. 48-51) et Marie Joqueviel-Bourjea (p. 59-61) –, l’éclairant de lumières tout à fait neuves. En effet, alors que la journée d’étude dédiée au poète belge « entend[ait] montrer la diversité de son inspiration, avec des interventions sur son rapport aux Ardennes, à l’élégie, à la nostalgie de Jacques Borel, au quotidien et à l’intimité, aux livres illustrés, à la musique, à la traduction » (voir affiche du programme), du volume papier ne ressort pas cet objectif, ce dernier n’était d’ailleurs pas rappelé dans l’avant-propos (p. 5-7), mais il apparaît que ce sont les éléments cités qui ont guidé, servi de supports ou d’outils à l’étude des textes. Autrement dit, les contributeurs ont relu des poèmes ou des recueils au prisme d’autres œuvres entretenant de fort liens avec ceux-ci – la postface d’Éloge pour une cuisine de province, les tableaux qui côtoient certains poèmes, le blues qui passionne le poète… C’est dans ces approches neuves vis-à-vis de l’œuvre de Guy Goffette que réside tout l’intérêt du volume qui, finalement, ne s’inscrit pas dans la « continuité des approches » (p. 6) dont parle Christine Dupouy et qui prenaient jusqu’alors les textes pour eux-mêmes.
La postface de Jacques Borel (1988)
5Dans la contribution de l’initiatrice de la journée d’étude et auteure de l’avant-propos, Christine Dupouy, « Goffette vu par Borel » (p. 9-24), c’est la postface de ce dernier au recueil Éloge pour une cuisine de province, « en tant que texte – œuvre d’un écrivain à part entière » (p. 9) – devenue préface dans la réédition du recueil chez Gallimard (2000) – qui sert d’outil d’approche au « maître-livre qu’est la Cuisine » (p. 23). Christine Dupouy part des commentaires, des formules employées par Jacques Borel, ainsi que du panthéon poétique goffettien que reconstitue l’écrivain-critique, pour éclairer la poétique du poète gaumais. Ainsi, les rapprochements qu’effectue Jacques Borel entre ce dernier et d’autres poètes tels, entre autres, Paul de Roux, Jean Follain, Jacques Réda, André Dhôtel ou encore Paul Claudel, « qui font partie des “dilectures” de la Cuisine » (p. 11), mettent en exergue les éléments au fondement de sa poétique dans le recueil étudié, ce que confirme l’analyse du même ouvrage réalisée par Béatrice Bonhomme (p. 25-37) : simplicité, renouvellement du lyrisme, de l’élégie et de la nostalgie, fondement anecdotique du poème, motifs et thématiques, dimension métapoétique de la cuisine, extensions mystique et mythique du quotidien… Christine Dupouy remet donc en avant cette postface, trop souvent ignorée de la critique, qui se révèle être en réalité un texte fondamental pour aborder la poésie goffettienne.
Guy Goffette, la musique & la peinture
6Les clés d’entrée choisies par Claire Habig, Serge Bourjea et Marie Joqueviel-Bourjea ne sont pas des écrits, mais la musique et la peinture. Rapprocher la poésie et ces deux arts peut sembler aisé car ils entretiennent des rapports étroits depuis l’Antiquité : pensons, d’une part, à la poésie lyrique antique, mais aussi à la chanson contemporaine9, et, d’autre part, à la célèbre formule latine « ut pictura poesis », à une technique comme l’ekphrasis ou aux esthétiques communes10. Pourtant, les relations entre poésie, musique et peinture dans l’œuvre de Guy Goffette n’ont encore jamais véritablement été envisagées, si ce n’est de façon anecdotique. Les trois contributeurs qui s’y attachent n’opèrent pas de simples mises en parallèle et/ou comparaisons, mais se donnent pour objectif d’étudier les dialogues entre écriture, musique et poésie, et de déterminer certains principes de la poétique goffettienne à l’aune de ces relations.
La poésie & la musique
7Avant la publication de la thèse de Claire Habig, dont cette dernière présente un aspect dans le volume (p. 97-119), les liens entre la musique et la poésie goffettienne ont seulement fait l’objet de quelques brèves remarques et de la comparaison à la « musique verlainienne11 ». Justifiant leurs propos par la passion de Guy Goffette pour le blues, dont témoignent les titres de sections ou de recueils, son entreprise de traduction de chants noirs américains et son hommage au genre dans « L’ami du jars12 », Jean-Pierre Zubiate et Yves Leclair sont les premiers à évoquer les rapports entre blues et poésie goffettienne qu’ils comparent notamment du point de vue de la rythmique13. Claire Habig propose une étude approfondie des liens entre poésie et musique chez Guy Goffette. Structuré en deux parties, son travail envisage d’abord trois textes faisant explicitement référence au blues – « Blues du mur roumain » (Le Pêcheur d’eau), « Blues à Charlestown » (Un Manteau de fortune) et Tacatam blues – au prisme de ce genre « afin de montrer comment est opérée la transposition musicale » (p. 99) et d’en déterminer les effets. Claire Habig dépasse la comparaison pour s’attacher aux sources d’inspiration, aux thématiques, au ton distancié et humoristique communs au blues et aux poèmes. Ensuite, elle analyse la poétique goffettienne à partir des « caractéristiques sonores, rythmiques et structurelles du blues » (p. 107), des concepts de dissonance, de polyphonie (p. 101-105) et de répétition (p. 105-107) spécifiques du genre. Ainsi, émerge le fait que la transposition du blues en poésie permet de « dire la souffrance, la solitude, l’échec », ce qui passe également « par la mise en évidence du motif d’Icare » (p. 107) sur lequel la chercheuse se penche dans la seconde partie de son travail. Celle-ci consiste en une étude de la forme et du fond des poèmes où se perd le lien avec le blues, avant d’opérer un retour à la musique, « et plus particulièrement vers un aspect très précis de cet art, le silence », et le souffle (p. 111) communs à la musique et à la langue (p. 113). Cette seconde partie semble à première vue moins attrayante que la première, mais la conclusion les réarticule étroitement et en fait émerger tout son sens :
La musique chez Guy Goffette est […] la recherche d’un rythme capable de dire la solitude, la souffrance, la dissonance et de se moquer, autant d’éléments qu’il emprunte au blues, mais elle est aussi le moyen d’éviter la chute, et de permettre un suspens, un envol grâce à l’élément clé du silence. (p. 119)
8Claire Habig renouvelle la façon d’aborder les liens entre poésie et musique en proposant l’étude des poèmes à l’aune d’un genre et de ses caractéristiques, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche, qui peuvent d’ailleurs être transposées dans le cadre d’autres études.
La poésie & la peinture
9Quant aux rapports entre poésie et peinture, Marie Joqueviel-Bourjea est claire : Guy Goffette « ne cherche pas à emprunter à la peinture son bien (un univers, des motifs voire des techniques) » (p. 57), ce qui reviendrait à faire de lui un « poeintre14 », fusion du poète et du peintre, mais « à comprendre, grâce à elle, ce qui se joue par et pour le regard » (p. 57). Pour ce faire, la technique de l’ekphrasis est-elle la plus opportune ? Large débat qu’ouvre cette question et que ne closent pas les contributions de Marie Joqueviel-Bourjea et Serge Bourjea.
10Selon Marie Joqueviel-Bourjea, les poèmes de Guy Goffette liés à des tableaux « constituent autant d’ekphrasis des toiles convoquées » (p. 62) ; il s’agit de « dipeintures15 », de « “récits de regard”, d’écrire ses lectures de la peinture » (p. 63). Elle nuance toutefois ses propos en rejoignant l’étude de Serge Bourjea qui précède la sienne dans le volume et qu’elle résume en expliquant que ce qu’elle affirme être de l’ekphrasis est, chez Guy Goffette,
plus rêveuse que réaliste, […] ne vise en rien l’exhaustivité pour n'élire que ce qui persiste à poindre le regardeur par-delà le temps, dans un instant de vie dont la profondeur se révèle en surimpression d’un tableau en tel détail ressouvenu (c’est le « punctum » barthésien) (p. 62).
11Plus loin, elle indique que les poèmes dont « les œuvres picturales […] se constituent expressément en supports […] se déploient sur plusieurs pages, conjuguant ekphrasis, récit, rêverie et réflexion » (p. 64). Cependant, par le retour régulier du concept d’ekphrasis dans la section consacrée à l’étude des poèmes qui « s’attachent à des œuvres plastiques » (p. 62), Marie Joqueviel-Bourjea insiste, malgré elle peut-être, sur l’existence de cette pratique scripturale chez Guy Goffette.
12Cette idée se trouve réfutée par Serge Bourjea dans « “[Un] petit Éden / dans un coin du tableau”. Guy Goffette en trois tableaux et quelques poèmes, avec un prélude et une épigraphe » (p. 39-53). Partant du principe que le poème, dans « son problème majeur » qu’est « celui de la mimesis, de la représentation, dans et par une image représentant ce qui est en vérité : la “chose”, d’avant toute représentation ou nomination » (p. 40, le soulignement est de l’auteur), est une épiphanie, manifeste une réalité cachée, « une brillance par quoi “la vie fait signe” » (p. 42), le critique se donne pour objectif de « saisir, dans l’écriture goffettienne, cette tension vers ce qu[e Guy Goffette] appelle “la vivante vie” » (p. 52). Il remet donc en parallèle trois textes, deux du Pêcheur d’eau et un extrait d’Elle, par bonheur, et toujours nue, et les trois tableaux qui les accompagnent – des natures mortes de Pieter Rijsbrack et de Jan Fijt, et La fenêtre de Pierre Bonnard –, et, grâce aux concepts barthésiens de studium et de punctum16, démontre que les écrits ne décrivent pas les œuvres, contrairement à ce qu’a pu écrire la critique notamment à la parution du livre17, mais les prennent pour support et en font émerger une réalité, vivante, la vie en dehors de la représentation. Par le poème, Guy Goffette « suggère une scène du passé qui eût donné tout son sens à la vie », mais « ce n’est pas ce passé à jamais perdu qui fait retour, le fantôme ou un fantasme qui pourrait peut-être en survenir […] : c’est bien la survivance de la vie – son insistance – qui, ici, seule, est en jeu. » (p. 47). C’est le punctum du tableau (p. 44). Dès lors, le poète « éclaire » de sa plume des tableaux et, par le biais de cet échange entre écriture et peinture, met en évidence une démarche poétique.
13Enfin, revenons-en à la contribution de Marie Joqueviel-Bourjea (p. 55-96), dont l’objet central est, selon le titre, les livres d’artistes parus aux éditions de bibliophilie Rencontres – encore jamais étudiés – et l’objectif mettre en lumière « un mythe personnel et […] un être-au-monde » goffettiens (p. 83). Dans un premier temps, l’auteure définit trois « formes prises par les échanges entre poésie et peinture dans l’œuvre de Goffette » (p. 58) à partir d’abord, d’Elle, par bonheur, et toujours nue, qui révèle une « démultiplication des figures de soi » (p. 61) qu’elle nomme « l’être-deux, l’être-double » (p. 60-62) ; ensuite, de quelques poèmes s’appuyant sur des tableaux mettant ainsi en lumière le « voir-double » (p. 66-67) ; enfin, les livres d’artistes qui reposent sur des « complicités créatrices », « l’être-à-deux » (p. 70). La suite de la contribution se centre sur ce dernier point, s’intéressant précisément à quatre livres d’artistes : Le seul jardin (2001) avec des peintures de François-Xavier Fagniez, Ulysse ébloui (2006) « avec des interventions de Joël Leick (collages de ses photographies, peintures, découpes…) » (p. 75), L’Usage des villes (2007) qui procède d’une performance avec Joël Leick (p. 79) et, enfin, Petits riens pour jours absolus (2007) pour lequel huit artistes se sont vu confier la confection de dix-sept exemplaires chacun (p. 77). Après une longue présentation de ces quatre œuvres, les textes du premier et du dernier bénéficient d’une minutieuse analyse génétique (p. 80-82) qui s’interrompt sur le repérage de « l’être-deux, l’être-double », du « voir-double » et de « l’être-à-deux » au sein des livres d’artistes (p. 82-83), avant d’aboutir à une conclusion qui se concentre sur l’analyse de deux vers absents de la première version du Seul jardin (p. 83-87). L’objectif initial qui semble a priori manqué réapparaît à la fin de cette section : Marie Joqueviel-Bourjea met en évidence la « définitive déchirure que le poème s’attache à réparer » (p. 86) et que cette « fatalité rhapsodique » se trouve « dans la nécessité du dialogue » (p. 86), dans
14la juxtaposition des voix en écho [qui] finit par les confondre et, sans pour autant effacer leurs différences, construit un espace “qui ouvre une fenêtre / sur le fond perdu”, ménageant ainsi dans la différence maintenue et accueillie l’intervalle nécessaire pour créer (p. 86-87).
15C’est « précisément ce que permet le livre de dialogue » (p. 87). Donc, si l’objectif initial semblait un peu perdu de vue, en particulier à cause de l’aspect descriptif de certaines parties de l’étude, et si l’auteure paraît de prime abord jongler entre deux sujets distincts – les relations textes et illustrations d’une part, l’analyse génétique de l’autre –, le tout prend son sens dans la conclusion, mettant ainsi en lumière une relation supplémentaire et peu connue de Guy Goffette avec l’art plastique qui apparaît pourtant être primordiale dans sa poétique. Enfin, nous noterons toutefois un léger manquement au sein de la contribution : le livre d’artistes mériterait à être redéfini, celui-ci étant également appelé « livre de dialogue18 » dans la mesure où ce type d’œuvre procède d’un travail à quatre mains, d’un dialogue entre un poète et un artiste, et qu’il ne s’agit donc pas de l’illustration d’un texte à titre décoratif.
L’insistante question du nouveau lyrisme
16Seule la contribution de Béatrice Bonhomme s’inscrit dans une approche plus traditionnelle car elle ne passe pas par un intermédiaire ou un dialogue avec une autre œuvre. Dans « Guy Goffette : de l’épiphanie à la chute d’Icare » (p. 25-37), elle propose une lecture du recueil Éloge pour une cuisine de province à partir des notions de quotidien et de lyrisme qui glissent vers celle de mythe et vers l’iconographie biblique afin d’aborder des motifs fondamentaux de la poésie goffettienne comme la cuisine (p. 26-28), le passage du temps, la fin de l’enfance et la désillusion (p. 30-32), la quête identitaire, les jeux de masques (p. 32-34)... rejoignant ainsi l’étude de Christine Dupouy. Malgré l’abondance de citations, qui peut sembler alourdir par moments le propos, cet article se révèle finalement moins éclairer l’œuvre de Guy Goffette – quoiqu’il prolonge l’étude d’Irati Fernández Erquicia sur le lyrisme quotidien (2018) en se concentrant sur un seul recueil – que définir le nouveau lyrisme, bien que celui-ci ne soit pas nommé explicitement par l’auteure, contrairement à ce que fait Christine Dupouy citant Le Chant du monde (2019) de Michel Collot19 (p. 11), et que Guy Goffette déclare à Benoît Conort ne pas se reconnaître dans ce mouvement : « je ne faisais pas partie [des] nouveaux lyriques [mentionnés par Philippe Delaveau dans La Poésie française au tournant des années 198020] […] Je préfère quant à moi employer l’expression “poète du quotidien” » (p. 136). Pourtant, comme nous l’écrivions dans l’introduction de la présente recension, le poète est considéré comme l’un des premiers représentants du nouveau lyrisme : en témoigne sa présence dans la revue Poésie dont le numéro 135, paru en 1987, est intitulé « Un nouveau lyrisme », mais aussi le fait qu’il soit mentionné dans nombre d’articles et ouvrages consacrés au nouveau lyrisme, tels La Poésie comme l’amour. Essai sur la relation lyrique (1998) de Jean-Michel Maulpoix21 ou, bien plus récemment, Le Chant du monde.
17La formule « poète du quotidien » employée par Guy Goffette trouve son écho dans le titre de l’ouvrage, Éloge pour une poésie de province, dont la province évoque la cuisine ardennaise, le quotidien, la simplicité… et où transparaît le lyrisme comme il affleure, discrètement mais certainement, dans chacune des contributions que rassemble le volume. En effet, tandis que Christine Dupouy y fait explicitement référence et que Béatrice Bonhomme en esquisse les traits, Claire Habig présente une poésie dont l’écriture, le langage est musical (p. 102), qui exprime les sentiments comme la mélancolie mais avec une certaine distance permise par l’humour notamment (p. 100). Quant à l’analyse de Serge Bourjea, elle montre qu’il existe un certain lyrisme au sein des poèmes goffettiens dans la mesure où il s’agit d’un point de vue particulier, une subjectivité, cela même en l’absence d’un « je » au sein des textes car « c’est toujours et d’abord, le regard de ce sujet qui suscite le poème22 », ce que prouvent par ailleurs les « dilectures » qui ne sont pas de micro-biographies mais plutôt « la forte résonance d’une expérience poétique » (p. 16). Enfin, Marie Joqueviel-Bourjea tente de mettre au jour un « être-au-monde » goffettien qui traverse les poèmes. Dès lors, quel autre lien entre les articles que rassemble ce volume peut-on établir pour justifier le titre choisi, si ce n’est donc celui du nouveau lyrisme ? Ces travaux confirment ce qu’écrivait Jean-Michel Maulpoix dans Initiales : « Il est peu d’œuvres poétiques contemporaines qui invitent autant que celle de Guy Goffette à poser radicalement la question de l’expression lyrique23. » Devant et malgré la négation de l’auteur vis-à-vis de cette tendance, la problématique reste donc largement ouverte…
Des contributeurs universitaires, un entretien & des textes inédits
18Alors que la poésie en vers a occupé tous les contributeurs de la monographie, l’entretien de Benoît Conort (p. 121-142), qui semble à première vue « en coq-à-l’âne » (p. 142), a pour objet la prose de Guy Goffette. S’il est avant tout (re)connu comme poète, ce dernier a, somme toute, écrit « assez peu de recueils de poèmes » (p. 121), huit au total auxquels s’ajoutent les livres d’artistes (p. 130), et s’est, au contraire, beaucoup adonné à la prose à travers l’écriture de romans, de récits, de chroniques, de préfaces, d’articles… Cette interview nous apprend que le poète belge a commencé, adolescent, par écrire des romans et des nouvelles qui sont restés non publiés (p. 121-122) avant de se lancer dans la poésie pour retenter le roman à l’aube des années 2000. La discussion fait émerger les écarts qui existent, pour Guy Goffette, entre la poésie et le roman : alors que la première est sincère, le second correspond au « mentir vrai » d’Aragon (p. 125), c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il préfère l’étiquette de récit à celle de roman (p. 128). Par ailleurs, et c’est sans doute l’intérêt majeur de l’entretien, est abordée la pratique d’écriture de Guy Goffette qui diffère pour la poésie – sans confondre poème et poésie qui sont pour le poète deux notions distinctes, l’une relevant de « l’exercice littéraire », l’autre du souffle qui peut traverser ou non le poème et que le poète doit saisir lorsqu’il se présente (p. 123) – et le roman (p. 126-129), ce qui amène à évoquer des ouvrages en chantier et à paraître (p. 131, 142), mais aussi à revenir sur la musicalité de l’écriture (p. 126-127), sur le passage par le brouillon (p. 131), sur les dilectures (p. 129), sur des thèmes omniprésents comme l’enfance (p. 131-133) et, surtout, ce qui ramène in fine à la poésie, à l’élégie, à la nostalgie, au blues, au nouveau lyrisme, au vers (p. 134-142), faisant dès lors écho, confirmant ou prolongeant les contributions qui ont précédé l’entretien.
19C’est sur la transcription de cet entretien, directement suivi de textes inédits (p. 143-170) et d’une bibliographie (p. 171-174) revue par le poète (p. 7), que se clôture Éloge pour une poésie de province. Cette structure inscrit l’ouvrage dans la « tradition » des monographies et dossiers consacrés à Guy Goffette. Celle-ci est effectivement identique à celle de Guy Goffette sans légende, des dossiers d’Initiales et de Nunc, ou encore de Guy Goffette ou la poésie promise. Néanmoins, il s’agit d’une forme que semble apprécier Christine Dupouy qui a organisé d’autres journées d’étude consacrées à des poètes contemporains ayant abouti à des volumes présentant semblable organisation – pensons, par exemple, à Richard Rognet. Permanence de l’approche (2018)24 – et qui convient à ce genre d’ouvrage dans la mesure où elle permet de prolonger les réflexions des contributeurs, notamment à travers les propos du poète lui-même et la lecture de nouveaux textes, ainsi que d’ouvrir de nouvelles pistes d’étude.
20Enfin, il est à noter qu’à la différence des auteurs des contributions des précédents volumes critiques dédiés à l’écrivain belge, ceux d’Éloge pour une poésie de province appartiennent tous au monde universitaire. En outre, comme nous l’avons écrit plus haut, l’originalité des approches choisies par Christine Dupouy et ses collaborateurs élève l’ouvrage au rang de référence dans la critique goffetienne, avec l’espoir que celle-ci lance pour de bon la recherche dans ce domaine – ce que le poète semble lui-même souhaiter et encourager dans l’entretien final, puisqu’il déclare, à propos de la parution prochaine de son recueil Pain perdu25, que celui-ci constitue mélange de textes « ramassés sur [s]es chantiers d’écriture » qui « couvr[e] une quarantaine d’années » et qui « devrait intéresser les universitaires en particulier qui se sont penchés ou se pencheront comme [ils l’ont] fait sur [s]on travail » (p. 142).