Actualité
Appels à contributions
Archives sonores de la littérature à l’Est et à l’Ouest

Archives sonores de la littérature à l’Est et à l’Ouest

Publié le par Marc Escola (Source : Ligia Tudurachi)

Appel à contribution

au Colloque Archives sonores de la littérature à l’Est et à l’Ouest 

dans le cadre du projet FONLIT (Gar 2023-157)

Cluj-Napoca, 29-30 mai 2025, Institut de linguistique et d’histoire littéraire « Sextil Pușcariu »

Le discours écrit de la littérature continue d’occuper le centre de la réflexion littéraire dans la culture roumaine et au-delà. La nature quasi-musicale de la parole a été jusqu’à présent presque inexistante dans l’acte de connaissance littéraire. Cependant, le performance est devenu une expérience poétique commune et le livre audio est un moyen déjà naturalisé par lequel l’écrivain est intégré dans notre passe-temps, pendant les vacances et les voyages. Nous avons pris l’habitude d’écouter des livres en lecture de l’auteur, tout en nous déplaçant, dans la rue, en voiture, en avion ou en train, évitant l’effort de la lecture cursive sur la page. C’est à la fois parce que c’est un confort ainsi offert, et parce que c’est une nouvelle façon de faire entrer la littérature dans notre quotidien. Mais nous ne nous interrogeons jamais sur la voix que nous écoutons. Nous faisons d’ailleurs rarement la différence entre un texte lu par l’auteur lui-même et un texte confié à un autre lecteur (acteur). Il en va de même pour la mise sur la musique des textes littéraires : nous ne nous interrogeons pas sur les qualités sonores qui ont qualifié le texte pour son interprétation musicale. 

Ce que nous proposons pour le colloque Archives sonores de la littérature à l’Est et à l’Ouest, c’est de discuter sur les pratiques historiques et contemporaines de la littérature parlée. Tout texte littéraire fait appel à l’existence d’une voix tacite qui parle en nous (les neurosciences l’appellent subvocalisation). Cette lecture faite dans la tête implique une scénographie vocale intime, une « phonoscène intérieure » (Szendy, 2022). Mais tout texte littéraire comporte aussi une « lecture » originale de l’auteur. Lorsqu’il lit effectivement son texte à haute voix, cette voix originale devient audible (Rilke pensait en 1926 que l’enregistrement sonore permettrait de transmettre le poème dans la forme voulue par l’auteur ; Paul Valéry a utilisé le terme d’ « execution » dans les années 1930, à propos de cette lecture à haute voix). Mais si l’écrivain devient un « exécutant » de son propre texte, le lecteur idéal se double également d’un auditeur idéal. La littérature vocale implique ainsi non seulement une phénoménologie de la lecture, mais aussi une phénoménologie de l’écoute. Il y a quelques années, imaginer une histoire littéraire qui prendrait en compte non seulement les choses écritespar les écrivains, mais aussi les choses parlées par eux aurait été un objet de connaissance littéraire stimulant, mais encore dispensable. L’ampleur de la relation entre la littérature et les nouveaux médias fait qu’aujourd’hui ce sujet soit absolument essentiel. On ne peut plus isoler l’écriture et la parole, comme le faisait G. Genette dans Seuils (1987), en plaçant cette dernière dans la sphère de la paralittérature. La parole ne doit plus être considérée comme une composante accidentelle, et donc secondaire, de l’acte littéraire. Au croisement du discours écrit, de la diction poétique, du performance et de la matérialité du support sur lequel elle s’inscrit, il devient obligatoire que la création littéraire s’analyse aujourd’hui comme un « ensemble pluriel de performances textuelles et orales » (Lang, Murat, Pardo, 2020). 

En tant qu’objets d’archives, les voix d’écrivains n’ont pas seulement une valeur patrimoniale. Elles se présentent également comme un ensemble de « traces » matérielles imprimées sur le support technique spécifique sur lequel la voix est enregistrée. Nous allons nous intéresserer, par conséquence, à la relation des voix à ces supports : cylindres de cire, bandes magnétiques, supports optiques, supports numériques – et aux orientations littéraires et aux poétiques (le plus souvent expérimentales) que cette relation favorise. Les « parasites », par exemple, qui chargent les premiers enregistrements, sur des cylindres de cire, font parler dans l’espace roumain d’une « littérature faite avec les bruits »(Arghezi, 2012).

Le colloque accordera une attention particulière à l’esthétique radiophonique, à travers les pratiques d’articulationspécifiques (il est possible de distinguer plusieurs styles radiophoniques, selon l’époque et la culture qui les produit), mais aussi à travers les formes associées de la littérature radiophonique (Hörspiel, poetry slams, poésie sonore, théâtre radiophonique). Une approche de la littérature sous cet angle n’est devenue réellement possible que ces dernières années, lorsque l’accès aux archives sonores radiophoniques s’est démocratisé en Roumanie, ainsi que dans d’autres pays européens, une fois avec leur transfer sur des supports numériques. C’est pourquoi une perspective comparative des modes d’utilisation de ces archives à l’Est et à l’Ouest nous semble d’un grand intérêt. Par ailleurs, étant donné que la méthodologie utilisée fait appel à l’esthétique, à la sociologie, à la théorie littéraire, à la phonétique expérimentale, à la théorie de la déclamation, au close listening (Charles Berstein, 1998), aux Sound Studies, à l’archivistique et aux Material Studies (Marta Caraion, 2020), les propositions provenant de domaines autres que celui strictement littéraire sont également les bienvenues.

Quelques axes pour guider la réflexion :

- Méthodes et modèles d’analyse adaptés à l’analyse des archives sonores des écrivains

- Pratiques historiques de récitation

- Phénomènes de co-influence entre la version scripturale/ typographique/ stable d’un texte et sa version sonore/ auxiliaire/ secondaire.

- La phénoménologie de l’(auto-)lecture et la phénoménologie de l’(auto-)écoute

- L’Esthétique radiophonique

- Les Formes littéraires propres à la littérature radiophonique : l’essence dramatique de cette littérature ; le « montage » et l'arrangement sur musique

- L’existence et la manière de composition des éditions radiophoniques ; les préfaces/ les préfaciers de ces éditions 

- L’illustration d’une catégorie de « voix célèbres » d’écrivains

- Les voix des écrivains comme voix spectrales

- Le processus de mythologisation auquel participent les enregistrements sonores : la construction d’un Panthéon autre que celui de la littérature écrite. 

Bibliographie indicative :

Th. Adorno, La forme du disque, trad. J. Lauxerois, in Les Cahiers de l'IRCAM, n° 7, p. 145.

Tudor Arghezi, Radio-Papagal. Publicistică radiofonică, préface de Paul Cernat, Bucarest, Maison d’édition Casa Radio, 2012.

Charles Berstein, Close Listening, Oxford, Oxford University Press, 1998.

G. Genette, Seuils, Paris, Seuil, 1987.

Laurent Jenny, La Parole singulière, préface de Jean Starobinski, Paris, Belin, 2009.

Abigail Lang, Michel Murat, Céline Pardo (eds.), Archives sonores de la poésie, Dijon, Les Presses du réel, 2020. 

Céline Pardo, « Penser la radio en littérature : quelques questionnements de radiolittérature », in Elfe XX-XXI, 2019, n°8.

Peter Szendy, Écoute. Une histoire de nos oreilles, Paris, Éditions de Minuit, 2001.

Peter Szendy, Pouvoirs de la lecture. De Platon au livre électronique, Paris, La Découverte, 2022.

Peter Szendy, Laura Odello, La voix, par ailleurs. Ventriloquie, bégaiement et autres accidents, Paris, Éditions de Minuit, 2023.

Les présentations disposeront de 20 minutes par intervenant. Les langues dans lesquelles elles peuvent être présentées sont le français, l’anglais et le roumain. Les propositions (300 mots maximum), accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, peuvent être envoyées jusqu’au 15 février 2025 sur les adresses: roxana.patras@uaic.ro et ligia.tudurachi@acad-cj.ro.

Une notification d’acceptation sera envoyée avant le 1er mars 2025. 

Une selection des textes présentés dans le colloque fera l’objet d’une publication dans le numéro 13 sur 2026 de la revue « Dacoromania litteraria », https://dacoromanialitteraria.inst-puscariu.ro/fr/prev.php.

 —

Comité scientifique :

Ligia Tudurachi (Chercheuse, Institut de Linguistique et d’Histoire Littéraire « Sextil Pușcariu », Cluj-Napoca)

Roxana Patraș (Chercheuse, Université « Alexandru Ioan Cuza », Iassy)

Constantin Bărbulescu (Professeur, Université Babeș-Bolyai, Cluj-Napoca)

Luana Stroe (Maître-assistant, Faculté des Lettres, Université de Bucarest)