AAC – Écrire sur les villes de rang intermédiaire au XIXe siècle
Colloque à l’Université de Tours, 19-20 novembre 2026
Au cours du long XIXe siècle, la croissance des villes entraîne des changements irréversibles dans l'équilibre de la population et dans celui du pouvoir, notamment lié à l'émergence de l'État industriel moderne. Ces villes sont des lieux dynamiques, structurés par des usages sociaux, des pratiques de l’espace, qui façonnent en retour la configuration des groupes qui les occupaient. Les villes en Europe avec leurs propres gouvernances municipales sont capables d’autonomie vis-à-vis du gouvernement central (Weber, 1921).
La production des écrits sur la ville, saisie dans leur grande diversité de production et d’usages, reflète ainsi des pratiques administratives, sociales, scientifiques et culturelles anciennes et/ou réinventées, mobilisées dans l’affirmation de ces “villes moyennes” dans un réseau urbain en mutation, à diverses échelles (Lepetit, 1998 ; Le Galès, 2011 ; Kalifa, 2017).
La production des savoirs administratifs, antiquaires, archéologiques, sociologiques, culturels, ordinaires par les acteurs de la ville du XIXe siècle témoignent des formes matérielles, de l’organisation sociale, de la vie culturelle, de la gouvernance de ces villes, de leur rôle dans la construction étatique et mémorielle. A l’échelle globale la richesse et la variété des cultures nationales au XIXe siècle reposent en partie sur l’essor formidable de ces villes, qui ont de multiples facettes, à la fois laboratoires du municipalisme pour répondre aux problématiques économiques, sociales, sanitaires, mais aussi lieux propices au développement des savoirs, au militantisme politique, à l’éclosion de nouvelles formes culturelles tant littéraires que artistiques. Ces dernières révèlent de nouvelles pratiques culturelles productrices d’identité sociale : dans un paysage marqué par la consécration politique et citoyenne de l’individu, la démocratisation de l’écriture nouvelle permet de nouvelles procédures discursives pour justifier une prise de parole, non plus en fonction de groupes sociaux prédéfinis, mais d’une identité à construire et par rapport à une collectivité en pleine mutation. Le roman moderne par exemple est le lieu privilégié de la représentation de l’individualité, fruit de l’émergence des classes moyennes, de l’individualisme économique et des innovations philosophiques et techniques.
Le projet voudrait s’intéresser aux écrits prenant les villes intermédiaires, relativement moins étudiées que les grandes capitales et les métropoles les plus dynamiques comme objet. Il porte sur un long XIXe siècle (des années 1780 à la veille de la Première Guerre mondiale), sans exclusive quant au périmètre géographique, afin de permettre des approches globales et comparatives.
Au cours de cette période, ces villes de rang moyen présentent de multiples facettes, à la fois lieux propices à de nouveaux courants intellectuels, politiques, à de nouvelles formes culturelles, littéraires et artistiques, productrices d’identité sociale. Cette urbanisation au rythme parfois décalé pose aussi les questions des rapports de ces espaces au milieu naturel et à la protection du patrimoine architectural ancien (Geddes, 1915), des effets sociaux de ses transformations spatiales, économiques (Harvey, 2003), de l’inscription culturelle, politique, économique de ces villes intermédiaires dans les mutations nationales et globales du long XIXe siècle (Osterhammel, 2017). Les villes moyennes ont ainsi pu nourrir des projets et des modèles alternatifs au schéma de la “grande ville”, dont le colloque examinera les développements, sur leur versant écologique, esthétique, social, collectiviste et réformateur.
Prenant acte d’une riche historiographie sur les écritures de la ville à l’âge moderne (Histoire urbaine, 2023/1; Urban History, 2020/47, “Thinking spatially: new horizons for urban history”), à la croisée de l’action d’écrire (GRIHL, 2016), de l’histoire des sciences et des savoirs et de l’histoire urbaine (Van Damme, 2012 ; Garnier, 2024), de l’histoire culturelle (Revue d’Histoire Culturelle, XVIIIe-XXIe siècles), ce colloque interdisciplinaire portant sur les écrits sur la ville s’efforcera ainsi de révéler la diversité des acteurs et modes d’élaboration des savoirs sur les villes de rang intermédiaire et leurs mobilisations (voire performativité) dans les processus de (re)formation d’identités locales, nationales, impériales et transnationales, à l’échelle globale. La réflexion embrasse tous les continents, en prêtant également attention aux dynamiques coloniales et comparatives, pour saisir ce long XIXe siècle dans toute son extension spatiale et chronologique.
Parmi les types d’écritures prenant la ville intermédiaire pour objet, et sans présupposer de frontières étanches entre ces différents champs, pourront ainsi faire l’objet de propositions de communications :
- Les écritures administratives, au sens le plus large du terme (rapports d'administrateurs, littérature grise, documents cartographiques, tables statistiques, enquêtes, monographies communales, récits de voyage…), qu’elles soient produites par des administrateurs, érudits, artisans, notables, instituteurs ou ecclésiastiques…
- Les écritures savantes (antiquaires, archéologiques, topographiques, historiennes…), à divers degrés de leur formalisation et institutionnalisation
- Les écritures des mythes et mystères, visant à exalter (ou nuancer) les particularismes locaux, sur divers supports, alors en plein essor (la presse, les guides à destination des voyageurs, les carnets de route ou de voyage, les cartes postales et les correspondances, les productions littéraires et artistiques…).
- Les multiples écrits relevant de la mobilisation des citadins et citadines (requêtes, pétitions, adresses, doléances…), plus ou moins structurés en groupements (professionnels, confessionnels, familiaux, politiques, associatifs, artistiques, littéraires…), dans leurs rapports aux pouvoirs urbains, dans la quotidienneté de la vie urbaine ou le paroxysme des crises socio-politiques qui remettent en cause la concorde et les conventions sociales de l’ordre établi.
Des propositions de 500 mots au maximum, assorties d’un CV d’une page, sont à adresser aux deux adresses suivantes avant le 17 février 2025 :
Tri TRAN: tri.tran@univ-tours.fr">tri.tran@univ-tours.fr">tri.tran@univ-tours.fr
Stéphanie SAUGET: stephanie.sauget@univ-tours.fr">stephanie.sauget@univ-tours.fr">stephanie.sauget@univ-tours.fr
Toutes les propositions recevront une réponse du comité d’organisation avant le 15 mars 2025.
Conseil scientifique :
Philippe Chassaigne (CEMMC, Bordeaux Montaigne)
Aude Deruelle (POLEN, Orléans)
Stéphanie Sauget (CeTHiS, Tours)
Tri Tran (ICD, Tours)
Bibliographie sélective :
AGULHON Maurice, dir., La Ville de l’âge industriel, Paris, Seuil, 1998.
ANDERSON Benedict, Imagined Communities: Reflections on the Origin And Spread of Nationalism, London, Verso, 1983.
BAYLY Christopher A., La Naissance du monde moderne, 1780-1914, trad. Michel Cordillot, Paris, éditions de l’Atelier, [2004] 2007.
BAUBÉROT Arnaud et BOURILLON Florence (dir.), Urbaphobie. La détestation de la ville aux XIXe et XXe siècles, éditions Bière, 2009.
BIGET Jean-Louis, HERVÉ Jean-Claude, Panoramas urbains. Situation de l’histoire des villes, Lyon, ENS Éditions, 1995.
CHARLE Christophe, Le Temps des capitales culturelles, Seyssel, Champ Vallon, 2009.
CLARK Peter (ed.), The Oxford Handbook of Cities in World History, Oxford, Oxford UP, 2013.
GARNIER Gautier, Capitales érudites. Ecrits et savoirs à Lisbonne et à Madrid (XIXe - XXe siècle), Paris, Classiques Garnier, 2024.
GEDDES Patrick, Cities in Evolution, London, Williams, 1915.
GEORG Odile, HUETZ DE LEMPS Xavier, Histoire de l’Europe urbaine, t. 5, La ville coloniale xve-xxe siècle, Paris, Seuil, 2012.
GRIHL, Écriture et action. XVIIe - XIXe siècle, une enquête collective, Paris, Éditions de l’EHESS, 2016.
HARVEY David, Paris, Capital of Modernity, London, Routledge, 2003.
HOBSBAWM Eric et RANGER Terence, The Invention of Tradition, London, Canto, 1983.
HOBSBAWM Eric, The Age of Empire, 1875-1914, London, Abacus, 2002.
HOWARD Ebenezer, Garden Cities of Tomorrow, London, Swan, Sonnenschein, 1898.
KALIFA Dominique et THÉRENTY Marie-Ève (dir.), Les Mystères urbains au XIXe siècle : circulations, transferts, appropriations, Médias 19 – Littérature et culture médiatique, 2015 en ligne https://www.medias19.org/publications/les-mysteres-urbains-au-xixe-siecle-circulations-transferts-appropriations
LE GALÈS Patrick, Le retour des villes européennes. Sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance, Presses de Sciences Po, Paris, 2011.
LEPETIT Bernard, Les villes dans la France moderne (1740-1840), Paris, Albin Michel, 1988.
LEPETIT Bernard, Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995.
LEPETIT Bernard, PUMAIN Denise (dir.), Temporalités urbaines, Paris, Anthropos, 1993.
OSTERHAMMEL Jürgen, La Transformation du monde. Une histoire globale du XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2017.
PINOL Jean-Luc (dir.), Histoire de l’Europe urbaine, t. 4 et 5, Paris, Seuil, 2003.
PLOUX François, “Une émulation à usage local. Les concours d’histoire des sociétés savantes de province au XIXe siècle”, Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 64, 2017/1, p. 32-62.
POUSSOU Jean-Pierre et Philippe LOUPÈS, Les Petites villes du Moyen-Age à nos jours, Editions du CNRS, 1987.
POUSSOU Jean-Pierre et François-Joseph RUGGIU, Les Élites et les villes moyennes en France et en Angleterre (XVIIe-XVIIIe siècle), Harmattan, 2000.
PROCHASSON Christophe, Paris 1900. Essai d’histoire culturelle, Paris, Calmann-Lévy, 1999.
ROBERT Marthe, Roman des origines et origines du roman, Paris, Grasset, 1972.
SINGARAVELOU Pierre et VENAYRE Sylvain (dir.), Histoire du monde au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2017, et notamment le chapitre VII « Urbanisation et cultures urbaines » rédigé par Dominique KALIFA, p. 109-121.
VADELORGE Loïc, “Les villes moyennes ont une histoire”, L’Information géographique, vol. 77, 2013/3, p. 29-44.
VAN DAMME Stéphane, Métropoles de papier. Naissance de l’archéologie urbaine à Paris et à Londres (XVIIe-XXe siècle), Paris, Les Belles Lettres, 2012.
WEBER Max, La Ville, trad. par A. Berlan, Paris, La Découverte, [1921] 2014.
ZELDIN Theodore, Une Histoire du monde au XIXe siècle, Paris, Larousse, 2005.