Journée d’étude du 11 juin 2025
Salle des Actes, Sorbonne Université 54 rue Saint-Jacques, 75005 Paris
« Quand la scène étatsunienne parle français :
Traduire les sons, traduire les corps, traduire les gens »
Organisée par Xavier Lemoine (Gustave Eiffel) et Julie Vatain-Corfdir (Sorbonne), responsables scientifiques de l’Axe 3 (« Investigating Adaptations ») du projet ANR ACTiF
Contexte du projet ACTiF (2024-2028)
Financé par l’Agence Nationale de la Recherche, le projet ACTiF (American Contemporary Theater in France) interroge la présence du théâtre américain sur les scènes françaises depuis les années 1960, et s’attache à en augmenter la visibilité. Quels facteurs, quels réseaux favorisent ou empêchent l’importation des spectacles ? Lorsqu’une pièce ou une compagnie voyage, qu’est-ce qui se joue en termes d’esthétique, de diplomatie culturelle, d’adaptation ou d’incompréhension ? Quelles sont les grandes réussites et les grands oublis ? ACTiF examine ces questions sous plusieurs angles complémentaires selon une méthodologie de recherche-action, au sein de laquelle la traduction des spectacles occupe une place clé, qu’il s’agisse d’analyser les pratiques existantes ou d’inventer de nouveaux moyens pour traduire la pluralité et l’inventivité linguistiques de la scène contemporaine. (Une présentation plus complète du projet et de ses différents axes est disponible sur son carnet de recherche.)
En juin 2025, ACTiF articulera, en Sorbonne, deux journées d’études complémentaires dédiées aux échanges transatlantiques par le théâtre (1960-2025) :
- 11 juin « Quand la scène étatsunienne parle français : traduire les sons, traduire les corps, traduire les gens » organisée par Xavier Lemoine et Julie Vatain-Corfdir
- 12 juin « Soft power & red curtain : les arts de la scène au regard de la diplomatie culturelle », organisée par Nicolas Peyre et Emmanuel Wallon
Argumentaire de la JE « Quand la scène étatsunienne parle français »
La traduction théâtrale est un exercice physique et sonore, qui passe au filtre du plateau toutes les questions posées par l’altérité des langues et des cultures ; elle est « un appel à se projeter dans la bouche et le corps des acteurs[1] », comme l’écrivent Céline Frigau-Manning et Marie-Nadia Karsky. Cette dimension matérielle et vivante du texte impose au traducteur des contraintes liées au rythme et à l’immédiateté des effets scéniques, en même temps qu’elle lui offre un cadre collaboratif où la traduction se prolonge dans le jeu et la mise en scène. Le dramaturge étatsunien Richard Nelson, lui-même traducteur, souligne à ce propos que « contrairement au roman, où l’on essaie de trouver les mots justes, avec une pièce, ce que l’on essaie de traduire au fond, ce sont les gens[2] ». Cette journée d’étude vise à interroger la façon dont les sons, les corps, les personnages du théâtre américain contemporain se voient traduits et retraduits pour les scènes françaises d’aujourd’hui.
Si la traduction théâtrale a fait l’objet de nombreuses études et manifestations scientifiques au cours des dernières décennies, les croisements avec les questions posées spécifiquement par la scène américaine sont très rares. Pourtant, les difficultés et points d’analyse abondent, tant dans le théâtre réaliste que dans la performance expérimentale ou la comédie musicale. Des marins d’Eugene O’Neill aux belles du Sud de Tennessee Williams, le théâtre américain s’est imposé dès ses premiers grands textes comme un théâtre ancré dans le vernaculaire et l’accent, qui situent les personnages avec une grande efficacité mais n’autorisent aucune transposition systématique en français, sous peine de déracinement ou d’incohérence. La comédie musicale spectaculaire qui triomphe à Broadway pose, quant à elle, d’intenses défis liés à la forme (rythme, sonorité, « chantabilité ») et, au-delà de la simple traduction des paroles, s’accompagne de toute une pratique de la voix et du corps qui demande à être comprise et adaptée pour que le spectacle puisse être monté en France. Depuis les années Soixante, la rupture avec l’esthétique réaliste qui caractérise le mouvement de la performance a par ailleurs imposé de nouvelles habitudes pour le public français, puisqu’une tradition d’invitation de troupes américaines par des festivals s’est installée, encourageant les spectacles joués en langue originale, avec des formes de traduction plus ou moins improvisées ou abouties. Autre point de bascule depuis la deuxième moitié du xxe siècle : les dramaturges noir.e.s ont largement mis à l’honneur la singularité du vernaculaire afro-américain dans tout un éventail de styles, de l’authenticité recherchée par Lorraine Hansberry aux réinventions orthographiques et allitératives de Suzan-Lori Parks ou Antoinette Nwandu. Avec quels outils recréer ces langues pour des acteurs français ? Quelles techniques de déplacement, neutralisation, équivalence ou réinvention ont pu être employées pour traduire, précisément, ces « gens » et toute la richesse de leur voix, sur les scènes françaises ? Les difficultés de traduction expliquent-elles l’absence d’œuvres importantes ? L’avis des autrices et auteurs d’origine est-il sollicité ? Des interrogations parallèles sont soulevées aujourd’hui par toutes les formes de représentation et de performance ancrées dans la poétique de voix minoritaires, comme les dramaturgies des autrices et auteurs premières nations (Larissa FastHorse, Joy Harjo, Mary Kathryn Nagle) ou non-binaires et trans* (Taylor Mac, Ty Defoe, Kate Bornstein, Will Davis, MJ Kaufman). Plaçant la focale sur le paysage foisonnant du xxie siècle, ACTiF souhaite étudier à la fois les nouvelles versions proposées aujourd’hui d’œuvres canoniques, et les défis linguistiques, culturels et esthétiques posés par la création ultra-contemporaine. Le bornage chronologique du projet va de 1960 à nos jours, et les propositions portant sur des performances et textes d’aujourd’hui, très peu étudiés, seront particulièrement bienvenues.
Toutes les modalités de la traduction théâtrale pourront être envisagées ici, qu’elle soit faite à la table ou au plateau, à deux ou à quatre mains, jouée à l’oral ou écrite sur le spectacle au moyen du surtitrage. De même, on pourra s’intéresser aux modalités de son absence, lorsqu’un spectacle est joué sans traduction, ou lorsqu’un projet échoue en raison de difficultés d’adaptation. Les dynamiques de retraduction, qu’elles soient motivées par les besoins d’une nouvelle génération ou ceux d’une nouvelle mise en scène, auront également leur place dans la discussion, afin d’analyser la façon dont une œuvre étatsunienne pénètre peu à peu dans le répertoire français, comme cela a pu être le cas pour Angels in America de Tony Kushner. La notion d’intraduisible sera de même mobilisée : y a-t-il des pièces qui ne peuvent pas traverser l’Atlantique ?
La journée d’étude réunira des universitaires, des artistes et des traducteurs, et mêlera les analyses de cas d’études précis à des panels de discussion et témoignages, afin de favoriser le dialogue et le partage d’expérience. Situé à la croisée des performance studies et de la traductologie, cet événement a également vocation à faire entendre, sous forme de mise en voix d’extraits, de nouveaux textes traduits ou en cours de traduction, afin de galvaniser la pratique et l’intérêt autour des dramaturgies contemporaines.
Les propositions (300 mots + courte biographie) peuvent être adressées pour le 28 février 2025 à xavier.lemoine@univ-eiffel.fr et julie.vatain@sorbonne-universite.fr. Les formats de présentation traditionnels sont les bienvenus, de même que les interventions à plusieurs voix, ou les propositions à la croisée de l’analyse et de la mise en voix, en scène ou en chant.
Indications bibliographiques
Actes des sixièmes assises de la traduction littéraire : traduire le théâtre (Arles 1989). Arles : Actes Sud : 1990.
Aaltonen, Sirkku. “Theatre Translation as performance”. Target, vol. 25, no. 3, 2013, 385-406.
Baines, Roger, Cristina Marinetti et Manuela Perteghella (dir.). Staging and Performing Translation: Text and Theatre Practice. New York, Palgrave Macmillan, 2011.
Bada, Valérie et Christine Pagnoulle. “August Wilson’s Gem of the Ocean: Translating Multilayered Sensory Experience”. Palimpsestes no. 29, 2016.
Badenes, Guillermo. “A Model for Queer Drama Translation Analysis.” Translation Studies, August 2024, 1-19. doi:10.1080/14781700.2024.2378317.
Baer, Brian, and Klaus Kaindle, eds. Queering Translation, Translating the Queer : Theory, Practice, Activism. New York and London: Routledge, 2018.
Banoun, Bernard, Isabelle Poulin et Yves Chevrel, Histoire des traductions en langue française. xxe siècle. Lagrasse : Verdier, 2019.
Bassnett, Susan and Harish Trivedi ed. Postcolonial Translation: Theory and Practice, Routledge, 1998
Budick, Sanford, and Iser, Wolfgang, eds. The Translatability of Cultures: Figurations of the Space between, Stanford University Press, 1996
Cronin, Michael. Translation and Identity, London: Routledge, 2006.
Falb, Lewis. American Drama in Paris, 1945-1970. A Study of its Reception. Chapel Hill : U of North Carolina Press, 1973.
Frigau-Manning Céline et Marie-Nadia Karsky (dir.), Traduire le théâtre : Une communauté d’expérience. Paris : Presses Universitaires de Vincennes, 2017.
Horn-Monval, Madeleine. Traduction et adaptations françaises du théâtre étranger du xve siècle à nos jours. Tome V : Théâtre anglais, théâtre américain. Paris : CNRS, 1963.
Ladouceur, Louise. "Surtitles take the stage in Franco-Canadian theatre." Target. International Journal of Translation Studies 25, no. 3 (October 11, 2013): 343–64. http://dx.doi.org/10.1075/target.25.3.03lad.
Lemoine, Xavier. “Angels in America: Performing American Border-Crossing on the French Stage?”. “Crossing Borders: Anglophone Theatre in Europe”. Susan Blattes, Christine Kiehl, dir. Coup de théâtre Hors-Série 2019, 259-278.
Piquard, Cécile, Sur la traduction des sociolectes dans le théâtre américain : analyse comparative des traductions françaises et québécoises. Thèse sous la direction d’Annie Brisset, Université d’Ottawa, 1996.
Tachtiris, Corine. Translation and Race. Routledge, 2024.
Vatain-Corfdir, Julie. “It’s been the dream of my life to see Paris,” in Jackson R. Bryer & Lincoln Konkle (dirs), Thornton Wilder: New Perspectives, Evanston, Northwestern UP, 2013, 429-448
---. Traduire la lettre vive. Bruxelles : Peter Lang, 2012.
[1] Céline Frigau-Manning et Marie-Nadia Karsky, introduction à Traduire le théâtre : une communauté d’expérience, Paris, PUV, 2017, 7.
[2] Richard Nelson, What Did You Expect? in The Gabriels, New York: TCG, 2018, 107 (nous traduisons).