Appel à communications
Journée d’étude : « Et plus ultra… III. L’outre-vie dans les littératures francophones »
6 novembre 2025
Université de Lille, ALITHILA (ULR 1061), Centre SémaFores (observatoire des écritures dans les mondes francophones)
Organisée par Frédéric Briot et Marie Bulté
Et plus ultra… est un cycle de trois journées d’étude, qui donnera lieu à un ouvrage collectif, consacrées aux outrepassements et autres formes de débordements observables dans les littératures des mondes francophones, voire qui les constituent intrinsèquement. En prenant comme figure tutélaire Ulysse et son dernier voyage tel qu’il le narre lui-même dans la Divine Comédie de Dante, la première journée (tenue en novembre 2022) s’était tout logiquement consacrée au franchissement, et aux points de bascule et de non-retour : comment passer d’un dedans à un dehors en bravant l’interdit pesant sur ce passage ? La deuxième journée (en novembre 2023) s’était alors attachée, autant qu’il est possible de le faire, à prêter l’oreille et l’attention aux voix du dehors, ces voix entre inouï et inaudible, ces voix impossibles et qui sont pourtant là, aporétiques en un mot. La troisième journée, prévue le jeudi 06 novembre 2025, va avoir moins un sujet d’étude que d’inquiétude : après le passage transgressif vers un dehors, puis la confrontation à l’altérité, un retour est-il possible vers le dedans ? Et s’il y a suspicion de retour, qu’est-ce qui revient exactement ?
Chez Dante, Ulysse – après être revenu à Ithaque – transgresse les limites du monde connu et, bravant l’interdit des colonnes d’Hercule, navigue vers l’inconnu puis sombre corps et biens. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire, puisque Dante le voit dans la huitième bolge du huitième cercle de l’Enfer. Ulysse est parti du monde grec, pour revenir dans le monde chrétien. Il est parti vivant, pour revenir comme mort à tout jamais. Il est parti en héros, héros de la victoire sur Troie, héros venant à bout de tous les obstacles qui se dresseront ensuite (Polyphème, les Sirènes…), il revient comme damné perpétuel. Ce qui revient n’a plus rien à voir avec ce qui est parti – le temps du dehors et celui du dedans ne sont point synchrones, et comme dans toute histoire de fantôme ou de spectre qui se respecte, le temps est déjointé. C’est cet écart, cette différence, cette altération, qui sera l’objet de nos inquiétudes et de nos soins. D’une certaine manière, après l’anabase et l’aporie, voici désormais venu le temps de la métalepse, le retour comme autre, le retour comme jamais au même niveau.
Ainsi, du dehors, rien ne peut revenir indemne, que ce soit de l’ordre du dommage, de la perte, ou du gain, mais comment en être sûr ? On peut penser naturellement au Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire où le retour, entre doute et exaltation, entre euphorie et dysphorie, fait naître le chant de la Négritude, ou à sa plus inquiétante résurgence dans L’Énigme du retour de Dany Laferrière. Pensons également au personnage écrivain de Wirriyamu de Williams Sassine qui, plus mort que vivant, cherche à rejoindre son village natal. L’on peut aussi ne pas réussir à revenir, comme dans la nouvelle « Retour non retour » du recueil Oran, langue morte d’Assia Djebar ; on peut même ne pas en revenir, comme Samba Diallo dans L’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane.
Revenir du dehors, faire retour, c’est inexorablement entrer dans l’outre-vie, comme l’exprime magistralement Solo d’un revenant de Kossi Efoui où la polysémie du titre parle d’elle-même. Mais l’outre-vie peut aussi être outrepassante, peut déborder, franchir violemment les limites qui la confinait à un éternel dehors. Ainsi en va-t-il des « revenance[s] de l’histoire » (Jean-François Hamel). Ces revenances s’incarnent, au cœur du roman Les Aubes écarlates de Léonora Miano, en spectres de la Traite négrière, spectres de celles et ceux qui n’ont jamais atteint les Caraïbes, aux marges tant du dedans que du dehors, et qui font retour pour réclamer une place dans le dedans oublieux. Elles s’incarnent également en zombies de la littérature haïtienne qui viennent faire exploser toute butée stable entre le dehors et le dedans, entre le passé et le présent, entre la vie et la mort, où la mémoire de l’esclavage s’énonce d’outre-vie comme dans Hadriana dans tous mes rêves de René Depestre. Elles s’incarnent encore en fantômes de victimes de génocides mises au dehors de l’imaginaire collectif, mises au silence de l’Histoire, comme les Héréros et les Namas dans Pistes de Penda Douf, qui reviennent pour tenter de transmuer le nulle part en quelque part. Mais il arrive aussi que le dehors fasse voler en éclats le dedans, quand l’un et l’autre deviennent indiscernables. Ainsi en va-t-il du dedans si vainement cloisonné du protagoniste de L’Attentat de Yasmina Khadra que sa femme fait exploser, que sa femme spectralise, ouvrant alors le dedans au dehors à moins que ce ne soit l’inverse ; ainsi en va-t-il, différemment certes, de Littoral ou d’Incendies de Wajdi Mouawad, quand ce qu’on croyait être un départ devient un retour, inaugurant un vertigineux va-et-vient entre dehors et dedans où la vie ne peut désormais qu’être outre, au-delà, au bord de l’abîme.
Ce retour comme écart et dissemblance, comme altérité et aspérité, comme énigme et incertitude, moins comme retour ferme sur une terre à soi que ricochet labile de soi, nous semble marquer avec acuité les littératures des mondes francophones, ces littératures précisément non métropolitaines, ces littératures si aisément reléguées au dehors, ces littératures où le pays natal se mue bien souvent en « pays fatal » pour reprendre la formule forte de La Plus Secrète Mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr. Il s’agira donc d’examiner toutes les formes que peut prendre cette outre-vie, cette nouvelle façon d’habiter et de hanter le dedans, un dedans qui ne serait plus un début, une origine mais un devenir.
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Les propositions de communication (notice bio-bibliographique, titre de la communication, résumé de 300 mots) pourront nous parvenir jusqu’au 19 mai 2025 aux adresses suivantes : marie.bulte@univ-lille.fr et frederic.briot@univ-lille.fr .