Actualité
Appels à contributions
Marginalité des endeuillés (revue Itinéraires. LTC)

Marginalité des endeuillés (revue Itinéraires. LTC)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : M. Tabeling)

Marginalité des endeuillés

Date limite d’envoi des propositions : 15 mai 2025

Coordination

Anne Coudreuse, université Sorbonne Paris Nord, anne.coudreuse@univ-paris13.fr.

David Galand, université Sorbonne Paris Nord, david.galand@univ-paris13.fr.

« Ah ! comment vivre tel entre deux mondes, écartelé sans rémission ? » interroge Gustave Roud dans Requiem (1967), écrit dans le deuil de sa mère. L’expérience du deuil se trouve liée, dans de nombreux textes littéraires, au sentiment de vivre dans un entre-deux-mondes, entre le monde des vivants et celui des morts, dans un espace indéfini mais fondamentalement en marge des autres vivants et de la société qui ne savent guère comment se comporter envers les individus endeuillés.

Ce trait serait, selon certains, spécifique à notre époque : depuis l’article fondateur de Geoffrey Gorer, “The Pornography of Death” (1955) et son développement dans Death, Grief and Mourning in Contemporary Britain (1965), il est en effet d’usage de considérer que les sociétés occidentales ont connu, au xxe siècle, un bouleversement dans leur rapport à la mort et aux endeuillés. Le recul des rites funéraires (veillées funèbres, deuil vestimentaire, recours à des pleureuses) et des occasions de côtoiement de la mort (exécutions publiques, morts prématurées) rend, selon l’anthropologue britannique, la mort obscène et entraîne, entre autres conséquences, une gêne nouvelle des individus envers la présence du cadavre mais aussi envers celle des personnes endeuillées. On sait combien cette thèse du déni de la mort a entraîné en France l’émergence d’études fondamentales sur la mort, aussi bien chez des historiens comme Philippe Ariès que chez des anthropologues tels que Louis-Vincent Thomas ou Jean Ziegler. Si, sans être fondamentalement remise en cause, elle a ensuite été nuancée et infléchie par les travaux de Jean-Didier Urbain, de Jean-Hugues Déchaux ou de Patrick Baudry, c’est pour souligner le plus souvent, malgré les nouvelles pratiques funéraires, le phénomène d’intimisation de la mort (Clavandier, 2009). Les discours philosophique, anthropologique et sociologique s’orientent ainsi depuis quelques années vers une exploration approfondie des rapports directs variés, non ritualisés ou tout au moins en marge des rites, que les vivants entretiennent avec les morts (Despret, 2017), jusque dans les sociétés non occidentales (Delaplace, 2024). Ce faisant, c’est la question du deuil, dans sa dimension intime, qui devient centrale et qui accompagne l’attention toujours plus grande des écrivains et des poètes à ce que le deuil, quand il nous touche, ébranle et bouleverse dans notre rapport aux autres – les proches comme la société en général.

Car, quand un deuil survient, c’est bien sûr le lien irrémédiablement rompu avec le mort qui occupe toute la pensée, mais, ce faisant, ce lien oblitère tous les autres qui semblent devenir secondaires. Ainsi Anne Godard a-t-elle dressé dans le roman L’Inconsolable le portrait d’une femme pour qui la mort du fils préféré rend vains tous les autres attachements. Hors de la fiction, dans l’expérience vécue du deuil, bien d’autres ont, dans leurs journaux de deuil (Snauwaert, 2023), dans leurs essais (Forest, 2007 ; Riley, 2024) ou leurs poèmes, souligné la solitude dans laquelle le chagrin les a plongés, et les plonge encore, puisqu’il n’est aucun retour possible au temps d’avant, nonobstant l’insistante injonction de la vulgate freudienne à « faire son deuil », son « travail de deuil » ou de résilience – dont les ouvrages de Philippe Forest en particulier ont montré le caractère profondément irritant et inadéquat. Boris Cyrulnik lui-même se méfie de l’usage néolibéral que l’on fait de la notion de résilience qu’il a proposée sans prévoir qu’elle connaîtrait un succès tel qu’elle s’est galvaudée. Les personnes endeuillées ne se sentent pas seulement éloignées des vivants, ils vivent dans une autre temporalité (Riley, 2024).

Nous proposons d’étudier, pour ce nouveau numéro thématique de la revue en ligne Itinéraires. LTC, comment la marginalisation et/ou la marginalité des individus endeuillés est montrée et interrogée par la littérature occidentale, quels que soient le cadre générique adopté par l’écrivain (roman, poème, théâtre, écriture de soi…), la langue et l’époque de celui-ci. Nous pensons en effet que cette expérience, sans doute accentuée dans le monde contemporain, ne lui est pourtant pas nécessairement spécifique. N’est-ce pas en effet, peu ou prou, celle que subit déjà Antigone ? N’est-ce pas, plus près de nous, l’expérience qu’interrogent Hugo dans Les Contemplations, Rodenbach dans Bruges-la-Morte ? N’est-ce pas encore tout récemment l’objet du dernier roman de Paul Auster, Baumgartner ? Que dit la littérature de la place véritable de l’endeuillé ? Quels processus le mettent ou lui permettent de se mettre à l’écart des vivants ? Certains « deuils sans noms » favorisent-ils cet éloignement-absentement ? Qu’autorise cet espace-temps particulier du deuil : une méditation, une réparation, un approfondissement du chagrin et de l’amour ou de l’attachement dont il est la continuation ? Quelle contiguïté, quelle proximité l’endeuillé éprouve-t-il avec les morts ? Quelle importance revêt alors le concept de hantise ? Comment redéfinit-il, reconfigure-t-il sa proximité avec les vivants dans un deuil qui semble (mais peut-être est-ce illusion) accroître la distance ?

La problématique que nous proposons voudrait demeurer résolument ouverte ; cependant les contributions pourront par exemple aborder les axes suivants, non exhaustifs :
les signes du deuil et leur impact sur les autres (vêtements de deuil, larmes, signes religieux, photographies des défunts, etc.) ;
la temporalité du deuil (mélancolie, nostalgie, « temps sans temps » (Jacques Chessex), temps arrêté, suspendu, etc.) ;
le recul ou la permanence des écritures partagées du deuil (tombeaux poétiques collectifs, volumes d’hommage, etc.) ;
les représentations du soi endeuillé dans les écritures de nature autobiographique ou dans les œuvres poétiques (livres de deuil, élégies, thrènes, etc.) ;
les fictions du deuil (au théâtre comme dans les récits en tout genre, voire dans certains recueils poétiques) et le rapport de la fiction au deuil à travers le personnage endeuillé ;
la spécificité éventuelle des deuils : est-ce la même expérience dans le deuil d’un grand-parent, d’un parent ou d’un enfant notamment ? ;
le deuil entre expérience intime, singulière, et expérience collective, devant la mort de figures historiques et/ou médiatiques ;
la spécificité éventuelle des deuils liés au terrorisme ou aux catastrophes.

Envoi des propositions

Les propositions sont à envoyer sous forme de résumé d’environ 300 mots accompagné d’une courte biobibliographie aux coordinateur·rices :

Anne Coudreuse, anne.coudreuse@univ-paris13.fr.
David Galand, david.galand@univ-paris13.fr.

Calendrier prévisionnel

15 février 2025 : lancement de l’appel à contribution ;
15 mai 2025 : date limite de réception des propositions ;
15 décembre 2025 : date limite de réception des articles ;
15 juillet 2026 : date de retour des articles révisés ;
Publication prévue : premier semestre 2027.

Bibliographie

Allouch, J. (1997 [1995]). Érotique du deuil au temps de la mort sèche. Paris : EPEL.
Ariès, P. (1977). L’Homme devant la mort. Paris : Seuil. 
Bacqué, M.-F., & Hanus, M. (2003). Le deuil. Paris : Presses universitaires de France.
Balcazar Moreno, M. (2010). Travailler pour les morts : Politique de la mémoire dans l’œuvre de Jean Genet. Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle.
Carlat, D. (2007). Témoins de l’inactuel : Quatre écrivains contemporains face au deuil. Paris : Corti.
Clavandier, G. (2009). Sociologie de la mort : Vivre et mourir dans la société contemporaine. Paris : Armand Colin.
Conort, B. (2002). Pierre Jean Jouve : Mourir en poésie. Presses universitaires du Septentrion.
Delaplace, G. (2024). La voix des fantômes : Quand débordent les morts. Paris : Seuil.
Delecroix, V., & Forest, P. (2015). Le deuil : Dialogue, entre le chagrin et le néant, entretien C. Portevin. Paris : Philosophie Magazine.
Derrida, J. (2003). Chaque fois unique, la fin du monde. Paris : Galilée.
Despret, V. (2017). Au bonheur des morts : Récits de ceux qui restent. Paris : La Découverte, 2017.
Forest, P. (2010). Le roman infanticide : Dostoïevski, Faulkner, Camus : Essai sur la littérature et le deuil. Nantes : Cécile Defaut.
Forest, P. (2007). Tous les enfants sauf un. Paris : Gallimard.
Fort, P.-L. (2007). Ma mère, la morte : L’écriture du deuil au féminin chez Yourcenar, Beauvoir et Ernaux. Paris : Imago.
Fort, P.-L. (2023). Les Deuils sans noms : Écritures contemporaines de la perte. Paris : Classiques Garnier.
Freud, S. (1986 [1917]). « Deuil et mélancolie », trad. J. Laplanche et J.-B. Pontalis. In Métapsychologie. Paris : Gallimard.
Fureix, E. (2009). La France des larmes : Deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840). Ceyzérieu : Champ Vallon.
Glaudes, P., & Rabaté, D. (dir.) (2005). Deuil et littérature. Pessac : Presses universitaires de Bordeaux.
Gorer, G. (2004). Ni pleurs ni couronnes, précédé de Pornographie de la mort, trad. H. Allouch. Paris : EPEL.
Laufer, L. (2006). L’énigme du deuil. Paris : Presses universitaires de France.
Loraux, N. (1990). Les mères en deuil. Paris : Seuil.
Longneaux, J.-M. (2020). Finitude, solitude, incertitude : Philosophie du deuil. Paris : Presses universitaires de France.
Maulpoix, J.-M. (2018). Une histoire de l’élégie. Paris : Pocket.
Picard, M. (1995). La littérature et la mort. Paris : Presses universitaires de France.
Riley, D. (2024). “Time Lived, Without Its Flow”, trad. G. Condello. In Chants d’adieu. Paris : Bayard.
Snauwaert, M. (2023). Toute histoire de deuil est une histoire d’amour. Saint-Laurent : Boréal.
Thomas, L.-V. (2003 [1988]). La mort. Paris : Presses universitaires de France.
Trevisan, C. (2001). Les fables du deuil : La Grande Guerre : mort et écriture. Paris : Presses universitaires de France.
Watthee-Delmotte, M. (2019). Dépasser la mort : L’agir de la littérature. Arles : Actes Sud.
Wieser, D. (2004). Nerval : Une poétique du deuil à l’âge romantique. Genève : Droz.
Yapaudjian-Labat, C. (2010). Écriture, deuil et mélancolie : les derniers textes de Samuel Beckett, Robert Pinget et Claude Simon. Paris : Classiques Garnier.
Ziegler, J. (1973). Les vivants et la mort : Essai de sociologie. Paris : Seuil.