Dijon, 3-5 septembre 2008
XXXVe Congrès de la SFLGC :
et colloque
« Etudes culturelles, anthropologie culturelle et comparatisme ? »
Second appel à communication
Les études culturelles permettent un profond renouvellement des humanités et de l’ensemble des sciences humaines. Encore déterminée par une controverse qui remonte au conflit idéologique du Romantisme entre universalisme français et particularisme culturel allemand ou anglais, une part importante de l'Université française ignore ou discrédite ce projet qui a pourtant permis des avancées majeures, tant dans l’étude des textes que dans celle des liens unissant théorie et critique. Il semble donc indispensable aujourd’hui de réfléchir sur ce tournant culturel qui constitue un changement d’importance, et ce, d’autant plus que la notion de culture connaît un succès croissant dans toutes les sciences humaines, provoquant une inflation polysémique qui tourne au brouillage conceptuel. Toute forme d’expression devient fatalement culture, le terme se substituant à d’autres vocables suspects comme ceux d’idéologie ou de race.
C’est cette réticence française à l’égard du culturalisme, elle-même un phénomène culturel, qu’il s’agit désormais de vaincre, sans pour cela nous plier aux directives des Cultural Studies anglo-américaines. Et la SFLGC semble le lieu idéal pour proposer cette réflexion, ne serait-ce que parce que, selon une sorte d’effet boomerang, c’est à partir de l’assimilation de la French Theory que les Cultural Studies se sont affirmées en tant que discipline dans le monde anglophone. Imprégnées des analyses et théories de M. Foucault, de J. Baudrillard, de L. Althusser, de R. Barthes, de J. Kristeva, de C. Metz, de M. de Certeau, de G. Derrida, de G. Deleuze ou de F. Guattari, elles se sont opposées, dès les années 1970, à la lecture déconstructiviste du legs post-structuraliste. Au surplus, comparatisme et Cultstuds ont un vaste champ de recherches en commun : étude des phénomènes d’interculturalité et de circulation culturelle, multiculturalisme, histoire des formations culturelles, autant qu’analyse des liens entre texte littéraire, éléments picturaux et sensibilités collectives. Mieux que toute autre, cette approche comparatiste permettrait de réintroduire un certain universalisme dans le relativisme des études culturelles, et de cerner avec rigueur ce « tournant culturel », tout en tenant à distance les égarements des Cultstuds anglo-américaines : populisme et misérabilisme ou hypertrophie d’un communautarisme qui entraîne la prolifération de subaltern studies (postcolonial studies, gender studies, women’s studies, queer studies etc.), voire discours stéréotypés de la mode affermissant la pensée politiquement correcte. Le rôle même de la littérature se noie souvent dans un tout-culturel imprécis qui fait le jeu des industries de masse, dont les Cultstuds deviennent, paradoxalement, une extension par un curieux processus de célébration et de légitimation partisanes. Aux antipodes de la paideia universaliste classique, ce morcellement militant (une originalité des Cultural studies est d’avoir voulu à tous crins politiser la recherche et l’enseignement universitaires) entraîne le risque de communautarisation de la pensée. Les phénomènes littéraires étant alors réduits à de simples illustrations d’une théorie préexistante et toute-puissante, elle-même réduite à son utilité idéologique ou pédagogique.
Il ne s’agit pas seulement, on le voit, de soutenir en France un courant marginalisé par des enseignants-chercheurs souvent sceptiques à l’égard de la théorisation, il s’agit aussi d’éclaircir, d’analyser et de discuter ces positions dans le but d’aborder le culturalisme sous un angle nouveau, dépassant à la fois les réticences françaises (parfois légitimes) et les excès anglo-américains (parfois bien réels). Autrement dit, d’envisager de jeter les bases d’un nouveau culturalisme, susceptible de s’intégrer dans la tradition universitaire occidentale.
Cette réflexion comparatiste sur un autre comparatisme permettrait de combler une lacune importante du panorama universitaire français - du moins dans le domaine des humanités proprement dites. Mais elle permettrait également de ménager une place à des recherches qui, comme les théories de la lecture, ne s’inscrivent pour l’heure qu’à la lisière du champ comparatiste.
En outre, se situant depuis l’Idéalisme romantique au centre du projet culturaliste, affirmant une méthode et une approche délibérément pluridisciplinaire, le comparatisme ouvre le texte littéraire à la circulation des rituels, des mythes et des thèmes, ainsi que des idées et des mentalités. Enfin, à la confluence des sciences humaines et tout spécialement de l’anthropologie culturelle, il privilégie l’étude des sensibilités collectives qui sous-tendent de vastes ensembles culturels internationaux.
Nous souhaiterions montrer que le détour comparatiste, paradigme-clé de la modernité, permet de rejeter l’idée que les études culturelles n’auraient ni objet ni méthodologie propres. Ce qui précisément fut longtemps - ce qui est encore parfois dans les départements de Lettres et les UFR de sciences humaines - le reproche adressé aux comparatistes.
A côté de ce développement proprement anglo-américain, les études culturelles peuvent se rattacher aux travaux des historiens, depuis l’apport fondateur de l’Ecole des Annales qui, déjà, provoquait un élargissement considérable du champ de la recherche. A la suite de F. Braudel, J. Delumeau ou P. Chaunu, une histoire plus globale et soucieuse d’anthropologie historique se développait, notamment parmi les médiévistes (J. Legoff, G. Duby) ; les travaux de R. Chartier, D. Roche et P. Ory se fixaient l’objectif d’établir une histoire culturelle en tant qu’ "ensemble de représentations collectives propres à une société".
Rejoignant nombre de préoccupations des comparatistes, l’histoire culturelle traite de l’imaginaire culturel sous toutes ses formes, soit en désessentialisant les catégories usuelles (la « nature », par exemple, est une construction mentale qui, de même que les représentations des sexes et des corps, doit être historicisée), soit en traitant du symbole, du rite, du mythe, bref, de la fantasmatique sociale et de ses invariants anthropologiques, comme de l’évolution des images de l’Autre. Les études culturelles, qui mettent aussi en avant les phénomènes d’acculturation, construisent leur objet en synchronie (quelles relations entre les systèmes ?) et en diachronie (tout phénomène culturel hérite, ne serait-ce que dialectiquement, de ce qui le précède).
Si les comparatistes retrouvent alors méthodes et concepts familiers, ils doivent prendre conscience à la fois du danger de voir le texte littéraire réduit à l’état de simple exemple et de l’opportunité théorique simultanément offerte : repenser la relation superstructure-infrastructure (concepts réunis selon des modalités précises de dépendance par le marxisme ; pourtant, observe J. Legoff, « réalités et représentations s’y retrouvent étroitement et dynamiquement liées ») et reprendre la question de la dissolution du sujet posée par les structuralistes.
Quelques axes de futurs ateliers possibles :
- littérarité et histoire culturelle ;
- frontières du littéraire : de nouveaux champs d’investigation ?
- valeur d’un texte et valeurs axiologiques véhiculées par ce dernier ;
- études culturelles et théorie de la littérature ;
- les instruments du comparatisme : échange de méthodes et nouveaux concepts ;
- vers une théorie culturelle européenne ;
- représentation des études culturelles (et de leurs partisans...) dans la fiction (Roth, Coetzee, Everett, etc.) ;
- le genre et la lecture genrée : écriture féminine et littérature comparée ;
Les communications devront naturellement présenter une dimension théorique, tisser des liens nouveaux entre comparatisme, histoire des représentations et anthropologie culturelle, ou éclairer des phénomènes que les humanités laissent traditionnellement dans l’ombre.
Les propositions (une page max.) peuvent être envoyées jusqu’au 23 décembre 2007 à :
Didier.Souiller@wanadoo.fr et /ou à sebastienhubier@aol.com
Comité d’organisation : D. Souiller (U. de Dijon), A. Domínguez Leiva (U. de Dijon), S. Hubier (U. de Reims), B. Jongy (U. de Dijon)
Avec le concours du Centre Pluridisciplinaire Textes et Cultures (EA 4178) et de la MSH de Dijon.