Dir. Maxime Berges et Justine Brisson
La littérature juive de langue française n’a jamais acquis un statut de concept légitime, contrairement aux Jewish Studies anglo-saxonnes, et se trouve souvent assimilée par défaut à la littérature française ou à celle de la Shoah. Les entretiens et les recensions réunies dans ce soixante-dix-septième dossier d’Acta Fabula entendent repenser à nouveaux frais la place de la judéité au sein du champ littéraire et universitaire français.
À l’origine de ce soixante-dix-septième dossier d’Acta Fabula, se trouvent deux essais publiés par Nelly Wolf et Maxime Decout, les fondateurs du séminaire « Écrivains et Artistes juifs » : Nelly Wolf s’intéresse au fait juif en littérature dans Le Juif imaginé, d’Elsa Triolet à Romain Gary (2023), tandis que Maxime Decout réfléchit, dans Faire trace. Les écritures de la Shoah (2023), à l’effort des écrivains pour comprendre, pour exprimer et pour transmettre ce que fut l’entreprise d’extermination nazie. Tous deux ont accepté de s’entretenir avec nous à propos de leur ouvrage respectif, l’occasion de revenir sur les éclairages historiques et sur l’appareil critique qu’ils offrent.
Plusieurs recensions complètent ces discussions autour de la judéité et de la Shoah. Françoise Schwab revient sur le rapport de Jankélévitch au judaïsme, à l’occasion de la parution de La Conscience juive (2023). Celle qui fut l’amie du philosophe montre comment celui-ci définit à son tour la « conscience juive » par une oscillation dialectique entre deux pôles, celui de la dissemblance et celui de l’assimilation. Yona Hanhart-Marmor apporte quant à elle un regard distancié sur l’approche genrée proposée par le deuxième numéro de la jeune revue Franges, intitulé « Écrivaines juives de langue française » (2024). Elle signale notamment l’écart entre nos approches et celles des études anglo-saxons qui analysent plus étroitement les pratiques scripturaires à l’intersection entre judéité et féminité, avec la Shoah comme fil conducteur.
Entre ces deux dimensions du fait juif en littérature, il restait à envisager les cas de judéité contestée ou fantasmée. Dans Proust du côté juif (2022), commenté par Guy Jacoby, Antoine Compagnon questionne la place de la judéité dans l’œuvre proustienne à partir de sa réception au sein des milieux juifs, et non simplement en fonction de la biographie de Proust ou des représentations de la figure du Juif dans le texte. Mike Holland revient sur l’épineuse question de la fascination-répulsion entretenue par Blanchot à l’égard du judaïsme, à partir du livre de Gisèle Berkman, La Question juive de Maurice Blanchot (2023). Jean-François Louette recense quant à lui l’essai de Laurent Touil-Tartour, Achever Sartre. Élucidations sur les dix dernières années de sa vie (2024), qui porte sur la place du judaïsme dans l’œuvre de Sartre à partir de ses dialogues avec Benny Lévy dans les années 1980.
Signalons finalement deux articles à lire dans la bibliothèque d’Acta Fabula et qui auraient trouvé une place évidente dans ce dossier : du côté de la judéité, celui de Maxime Decout sur l’essai de Philippe Zard, De Shylock à Cinoc, et du côté de la Shoah, celui de Graziellia De Matteis sur L’Ère des non-témoins d’Aurélie Barjonet. Nous regrettons également de n’avoir pu ajouter au sommaire le trop récent ouvrage d’Olivia Lewi, Témoigner de la Shoah, qui offre pourtant un regard original sur les témoignages conservés au Mémorial de Paris. Il est toutefois possible de lire l’introduction de l’ouvrage.
(illustr. NYC - MoMA: Mark Rothko's No.5/No. 22)