Ce collectif se propose de réfléchir sur la rémanence des catégorisations coloniales en Afrique postcoloniale, particulièrement celles qui touchent à l’organisation administrative, aux toponymes, aux ethnonymes, aux représentations sociales et sociolinguistiques, stéréotypées ou non, et aux constructions mémorielles. L’idée de départ est celle de la nécessité de permettre aux chercheurs de différentes disciplines d’ausculter les ressorts des revendications qui, ces dernières années sur le continent africain, dénoncent la colonialité et appellent à la décolonialité, des concepts au cœur des travaux de Quijano & Ennis (2000), Mathias (2018), Le Petitcorps & Desille (2020), Mendoza (2020) ou encore Mignolo (2021).
Le terme de catégorisation que nous empruntons à la psychologie cognitive de la perception y renvoie à une activité mentale dont le but est d’organiser et de ranger des informations collectées dans le milieu environnant à partir des cinq sens (données visuelles, tactiles, auditives ou encore olfactives). Elles sont ensuite regroupées en ensembles (classes) en fonction des caractéristiques communes (propriétés). Salès-Wuillemin (2006 : 11-12) propose l’économie suivante des résultats des travaux sur le sujet :
1. Pour catégoriser, on simplifie la réalité grâce à deux mouvements complémentaires : l’accentuation des ressemblances entre les éléments d’une même catégorie et des différences entre les catégories.
2. Les critères pouvant servir de point de comparaison pour établir une similarité ou une différence entre des objets sont : l’aspect physique (couleur, forme, poids, texture), la fonction (objets servant à soulever, peser, presser) ou la proximité spatiale (chaise, lit, table de chevet, tapis, armoire dans une chambre).
3. Le contenu des catégories et l’organisation des catégories sont instables, car résultant d’une perception.
4. Le classement des objets dans une même catégorie ne nécessite pas qu’ils soient tous strictement équivalents.
En psychologie sociale, écrit Salès-Wuillemin (2006 : 13-14), l’on s’est intéressé aux différents processus d’affectation d’objets dans des catégories, à la perception de ces objets au moment de la catégorisation ou consécutivement à cette affectation. Les premières études, dues aux psychologues sociaux américains, établiront, notamment, le lien entre les groupes sociaux et les catégories. D’autres travaux porteront sur le produit et le processus de la catégorisation. Les recherches centrées sur le produit sont celles qui, selon Salès-Wuillemin (2006 : 15), partagent des points communs avec les études sur les préjugés et les stéréotypes. L’analyse des processus en a distingué quatre : les jugements polarisés, la surgénéralisation, la distorsion de la réalité, les biais dans le souvenir et la corrélation illusoire (Salès‐Wuillemin, 2006 : 91-95).
Les travaux des psychologues sociaux américains les ont également amenés à postuler l’existence des stéréotypes ethniques, à réfléchir sur leur rigidité et leur flexibilité, à s’intéresser à l’influence des préjugés et à l’hypothèse du noyau ou fonds de vérité qui ferait que les stéréotypes ne soient pas totalement arbitraires. La psychologie interculturelle s’est quant à elle employée à démontrer que le stéréotype était un facteur de cohésion sociale, et Moscovici a choisi de l’abandonner pour travailler sur la notion de représentation sociale (Amossy & Herschberg Pierrot, 2021 : 62). Toutefois, il apparait chez lui des points communs entre les deux notions : elles mettent en rapport la vision d’un objet donné avec l’appartenance socioculturelle du sujet, relèvent d’un « savoir de sens commun », entendu comme connaissance « spontanée », « naïve », ou comme pensée naturelle par opposition à la pensée scientifique. Cette connaissance dont la source se trouve dans les savoirs hérités de la tradition, de l’éducation, de la communication sociales, modèle non seulement la connaissance que l’individu prend du monde, mais aussi les interactions sociales. Sur la base de ces considérations, Jodelet (cité par Amossy & Herschberg Pierrot, 2021 : 62) a défini la représentation sociale comme « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social ».
Cette définition qu’Amossy & Herschberg Pierrot (2021 : 62) trouvent relativement floue a inspiré à l’école française centrée autour de Moscovici d’abondants travaux et de nombreuses discussions. L’une des préoccupations a été d’établir la différence entre la représentation sociale, considérée comme renvoyant à un univers d’opinions, et le stéréotype, qui dénote la cristallisation d’un élément. Si dans la pratique les deux notions se recoupent, le seul avantage que la première a sur la seconde est de ne pas être chargé de connotations négatives (Amossy & Herschberg Pierrot, 2021 : 63). En sociolinguistique plus spécifiquement, d’abondantes réflexions théoriques ont associé aux représentations le stéréotype, les attitudes et les opinions. Le concept représentation apparait dans cette discipline soit comme un hyperonyme regroupant toutes les notions qui impliquent des savoirs partagés (stéréotypes, idées reçues, préjugés ou encore expressions idiomatiques), et conditionnent les attitudes, les comportements linguistiques et les opinions, soit comme le synonyme d’attitudes.
Les représentations, les stéréotypes, les opinions et les attitudes résultent généralement des imaginaires et face au soupçon qui pèse sur le stéréotype, Charaudeau (2007) a lui aussi proposé de le laisser tomber pour se focaliser sur l’imaginaire, particulièrement l’imaginaire sociodiscursif, dont le symptôme est la parole, le résultat de l’activité de représentation qui construit des univers de pensée, lieux d’institution de vérités. Cette construction se fait par le biais de la sédimentation de discours narratifs et argumentatifs proposant une description et une explication des phénomènes du monde et des comportements humains. L’on aboutit donc à la construction des systèmes de pensée cohérents à partir de types de savoir investis tantôt de pathos (le savoir comme affect), d’ethos (la savoir comme image de soi), de logos (le savoir comme argument rationnel). Ainsi, les imaginaires sont engendrés par les discours qui circulent dans les groupes sociaux, s’organisant en systèmes de pensée cohérents créateurs de valeurs, jouant le rôle de justification de l’action sociale et se déposant dans la mémoire collective.
Les développements qui précèdent suggèrent plusieurs entrées théoriques, éventuellement transdisciplinaires, et plusieurs axes de réflexion :
– La toponymie. L’on voudra bien s’intéresser aux principes qui ont présidé à l’attribution des noms de lieux en Afrique coloniale, aux raisons de leur maintien après la décolonisation, aux opérations de renomination et aux bénéfices qu’il y aurait à conserver les héritages coloniaux ou à s’en défaire.
– L’ethnonymie. De nombreuses communautés continuent de porter, en Afrique postcoloniale, des noms attribués parfois arbitrairement par les colons, et qui ne correspondent à rien dans leur anthropologie culturelle. L’on cherchera à identifier les motivations de l’entreprise coloniale et les conséquences actuelles, sur les groupes et les relations intergroupes, de ces différents ethnonymes, et on proposera des solutions pour rompre avec l’ordre colonial.
– Le stéréotypage. De nombreux préjugés ont influencé des catégorisations sociales qui pèsent encore aujourd’hui sur de nombreuses communautés africaines, empêchant certains peuples à s’épanouir. L’on interrogera les formes que prend le stéréotypage, les résultats de ce processus et les moyens pour les déconstruire.
– La mémoire collective. Les travaux qui correspondent à cet axe devront interroger les choix mémoriels de l’élite postcoloniale, s’intéresser aux conflits mémoriels, manifestes ou latents, susceptibles de menacer la cohésion des ex-colonies. La question des mémoires oubliées/refoulées n’est pas à évacuer, comme les propositions visant la prise en compte de la pluralité des mémoires, bien qu’elles ne soient pas toutes de statut équivalent.
– Les représentations de l’Afrique dans la fiction littéraire. Comment l’Afrique postcoloniale est-elle perçue dans le texte littéraire ? La réponse à cette prendra en compte les deux thèmes majeurs que sont la colonialité et la décolonialité, avec la possibilité d’interroger la véracité de ces concepts et l’opérationnalité du second.
Calendrier et consignes aux auteurs
– Date limite d’arrivée des textes : 15 avril 2023.
– Évaluation des textes : mai 2023.
– Retour des textes finalisés : juillet 2023.
– Sortie de l’ouvrage : octobre 2023. L’ouvrage sera publié sous licence Creative Commons 3.0 FR.
– Nombre de signes : entre 50.000 et 65 000 signes maximum (espaces et références bibliographiques compris).
– Typographie : si les articles sont en français, adopter la typographie française (guillemets français : « » ; guillemets de second degré (guillemets dans les guillemets) : “ ” ; parenthèses : () ; parenthèses de second degré ; [ ] ; espaces insécables avant les signes de ponctuation suivants : ; : ? ! ; tirets demi-cadratin (–) dans le texte et pour les énumérations. Si les articles sont dans une autre langue, adopter la typographie de cette langue. Les langues acceptées sont le français, l’anglais, l’allemand et l’espagnol.
– Mise en forme : de façon générale, le document doit contenir le moins de mise en forme possible.
• Format : Word pour PC ou Mac.
• Caractères : Times New Roman, 12 points, sans autre enrichissement typographique que l’emploi de caractères italiques. Les majuscules seront accentuées. Le texte est justifié des deux côtés. Pas de retrait en début de paragraphe. Interligne simple.
• Marges : 2,5 cm de tous les côtés (haut, bas, gauche, droite).
• Titre de l’article : 14 pts + un espace après ; Auteur : nom et affiliation, 12 pts + un espace après ; Résumé : 250 mots minimum, 10 pts + un espace après et cinq mots-clés ; Abstract : résumé en anglais (même consigne que pour le résumé) ; Texte de l’article : intertitres sans retrait numérotés en chiffres arabes (1. ; 1.1. ; 1.1.2., etc.). On limitera le nombre de niveaux de titres.
– Références bibliographiques : elles seront signalées entre parenthèses par le patronyme seul, suivi de l’année de publication, suivie d’une lettre si la bibliographie contient plusieurs ouvrages de l’auteur pour une même année (2007a, b, c), suivie de la (ou des) page(s). Les références bibliographiques au style APA seront réunies en fin de document.
– Illustrations : Les auteurs doivent être assurés d’avoir les droits de reproduction sur toutes les illustrations utilisées dans leur travail (photos, dessins, schémas, graphiques, tableaux, statistiques, etc.)
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Soumission des articles :
Paul Zang Zang : zangzangpaul@yahoo.fr
Laurain Assipolo : assipolo@yahoo.fr
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Bibliographie indicative
Amossy, R., & Herschberg Pierrot, A. (2021). Stéréotypes et clichés (éd. 4). Paris : Armand Colin.
Barash, J. A. (2006). Qu’est-ce que la mémoire collective ? Réflexions sur l’interprétation de la mémoire chez Paul Ricœur. Revue de métaphysique et de morale, 2 (50), pp. 185-195. doi:10.3917/rmm.062.0185.
Boyer, H. (1990). Matériaux pour une approche des représentations sociolinguistiques. Éléments de définition et parcours documentaire en diglossie. Langue française (85), pp. 102-124. doi:https://doi.org/10.3406/lfr.1990.6180.
__(2007). Le stéréotypage ambivalent comme indicateur de conflit diglossique. Dans H. Boyer, Stéréotypage, stéréotypes : fonctionnements ordinaires et mises en scène, tome 4 (pp. 39-47). Paris : L’harmattan.
__(2021). Représentation. Langage et société, pp. 301-304. doi:10.3917/ls.hs01.0302.
Charaudeau, P. (2007). Les stéréotypes, c’est bien. Les imaginaires, c’est mieux. (H. Boyer, Éd.) Stéréotypage, stéréotypes : fonctionnements ordinaires et mises en scène, tome 4 (pp. 49-63). Paris : L’harmattan.
Gonzalez Rey, I. (2007). Les stéréotypes culturels et linguistiques des expressions idiomatiques. Dans H. Boyer (Éd.), Stéréotypage, stéréotypes : fonctionnements ordinaires et mises en scène, tome 4 (pp. 101-112). Paris : L’harmattan.
Halbwachs, M. (1950). La mémoire collective. Paris : PUF.
__(1952). Les cadres sociaux de la mémoire. Paris : PUF.
Le Petitcorps, C., & Desille, A. (2020). La colonialité du pouvoir aujourd’hui : approches par l’étude des migrations. Migrations Société, 182 (4), pp. 17-28. doi : https://doi.org/10.3917/migra.182.0017.
Mathias, A. d. (2018). La formation de la pensée décoloniale. Études littéraires africaines (45), pp. 169–173. doi:https://doi.org/10.7202/1051620ar.
Mendoza, B. (2020, octobre). Decolonial Theories in Comparison. Journal of World Philosophies (5), pp. 43-60. doi:10.2979/jourworlphil.5.1.03.
Mignolo, W. (2021). Parce que la colonialité est partout, la décolonialité est inévitable. Multitudes (84), pp. 57-67. doi:https://doi.org/10.3917/mult.084.0057.
Nora, P. (1978). La mémoire collective. Dans J. Le Goff, La nouvelle histoire (pp. 398-401). Paris : Retz-CEPL.
Quijano, A., & Ennis, M. (2000). Coloniality of Power, Eurocentrism, and Latin America. Nepantla: Views from South, 1 (3), pp. 533-580. Consulté le octobre 5, 2022, sur https://www.muse.jhu.edu/article/23906.
Salès-Wuillemin, E. (2006). La catégorisation et les stéréotypes en psychologie sociale. Paris : Dunod.
Torrent, M. (2013). Des partages coloniaux aux frontières culturelles : (ré-)unifications et marginalisations au Cameroun méridional (1954-1961). Mémoire(s), identité(s), marginalité(s) dans le monde occidental contemporain, 10. doi:https://doi.org/10.4000/mimmoc.1360.
Vidal-Beneyto, J. (2003). La construction de la mémoire collective. Du franquisme à la démocratie. Diogène, 201 (1), pp. 17-28. doi : https://doi.org/10.3917/dio.201.0017.
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Comité scientifique
Biloa Edmond (Université de Yaoundé I), Valère Nkelzok (Université de Douala), Paul Zang Zang (Université de Yaoundé I/Université panafricaine), Oreste Floquet (Université « La Sapienza » de Rome), Afeli Kossi Antoine (Université de Lomé), Kpwang Kpwang Robert (Université de Yaoundé I), Sergio Vilani (Université de York), Germain Moïse Eba’a (Université de Yaoundé I), Roger Mondoué (Université de Dschang), Flora Amabiamina (Université de Douala), Atangana Kouna Christophe Désiré (Université de Yaoundé I), Mbaha Joseph Pascal (Université de Douala), Napon Abou (Université de Ouagadougou), Armand Leka Essomba (Université de Yaoundé I), Venant Eloundou Eloundou (Université de Yaoundé I), Essiene Jean-Marcel (Université de Douala), Njoh Kome Ferdinand (Université de Douala), Ekorong Alain (Université de Douala), Dezombe Paul (Université de Yaoundé I).
Comité de lecture
Pierre Essengue (Université de Buea, Cameroun), Elhadji Yawale Maman (Université de Zinder), Tchagnaou Akimou (Université de Zender), Medjo Elimbi Solange (Université de Douala), Yennah Robert (University of Legon), Jean Marie Yombo (Université de Bertoua), Nkouandou Njiemessa Marcel (Université de Douala), Bayo Alain (Université de Douala), Aristide Bitouga (Université de Douala, Cameroun), Kenne Augustin (Université de Douala), Djob Likana Edouard (Université de Douala).
Comité de rédaction
Pr Paul Zang Zang (Université de Yaoundé I/Université panafricaine) ;
Dr Laurain Assipolo (Université de Douala).