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Faut-il imaginer Sisyphe heureux ? (Strasbourg)

Faut-il imaginer Sisyphe heureux ? (Strasbourg)

Publié le par Marc Escola (Source : Nicole Siri)

Journée d’études : Faut-il imaginer Sisyphe heureux ?

ITI Lethica, Université de Strasbourg, le 16 octobre 2024

Appel à communications

English version below

 À l’occasion de la tenue de l’exposition multi-médiale « Faut-il imaginer Sisyphe heureux ? » (30 septembre-18 octobre 2024, ITI Lethica, MISHA, Université de Strasbourg), une journée d’études, elle-même intitulée « Faut-il imaginer Sisyphe heureux ? », vise à explorer les discours et les postures qui émergent des textes littéraires au fil des siècles (XVIe-XXIe siècles) autour de l’éthique du travail depuis 1543 : l’année de publication de la troisième édition de l’Institution de Calvin constitue en effet, pour Max Weber, la date de naissance de l’éthique du capitalisme.

Pendant l’Antiquité, et, de manière plus nuancée, au long du Moyen Âge, le travail est considéré comme une activité dégradante, indigne des hommes libres. Même les textes qui encouragent le travail, tels que Les Travaux et les Jours d’Hésiode (VIIIe siècle av. J.-C.) ou la Règle de Saint-Benoît (VIe siècle), ne le conçoivent pas comme une activité noble en soi, mais plutôt comme une forme de discipline religieuse : le travail agricole est pour Hésiode une manière de se soumettre à la volonté des dieux (Vernant 1996) ; pour les moines bénédictins, le travail manuel est un moyen de mortifier la chair, et, par le biais de la fatigue, d’éloigner les tentations (Fossier 2012).

Ce n’est qu’avec l’avènement de la bourgeoisie qu’une révolution morale s’opère : devenant la classe dominante, la bourgeoisie s’oppose à l’aristocratie en revendiquant le fait de travailler, à l’inverse de cette dernière (Elias 1991). Le travail est ainsi, depuis le XVIe siècle, progressivement investi d’une portée éthique, et il est associé, au niveau idéologique, à l’idée de bonheur.

Aujourd’hui encore, dans la lignée d’un débat qui dure au moins depuis le XVIIIe siècle (Sennett 2000), deux conceptions antagonistes du travail s’affrontent : d’un côté l’idée de travail comme expérience aliénée et aliénante, vidée de toute signification ; de l’autre, l’idée de travail en tant que source d’épanouissement personnel et de bonheur.

Au cours de la journée d’études, nous souhaitons interroger cet enjeu, en nous demandant : le travail est-il, comme le souhaitait Primo Levi dans La Clef à molette, « […] la meilleure approximation concrète du bonheur sur terre » ? Est-il, au contraire, un « temps infernal » vidé de toute valeur expérimentale, comme le suggérait Walter Benjamin dans son essai Sur quelques thèmes baudelairiens (1939) ? Quand et à quelles conditions cesse-t-il d’être l’un pour devenir l’autre ? Pourquoi cette expérience est-elle pensée de manière si diamétralement opposée par différents auteurs ? Quelles sont les idéologies qui émergent des œuvres littéraires ? Quelle est la place, dans ce débat, du travail invisibilisé des femmes, du travail du « care » longtemps conçu comme un acte d’amour, et non pas comme du « vrai » travail ?

De Robinson Crusoe à Annie Ernaux, il s’agira, par une série d’études de cas, d’entrer, au fil des siècles, dans les plis de l’intériorité des personnages représentés, mais aussi de mettre en question la perspective et les postures des narrateurs, ainsi que des autrices et des auteurs (qui parfois, surtout avant le XXe siècle, pensent et représentent le travail sans en avoir fait l’expérience) : nous souhaitons, en somme, nous plonger dans l’ambivalence des textes littéraires.

En fin de journée nous serons ravis de convier les participants à une visite de l’exposition, ainsi qu’au spectacle Les Mains Rouges de et par Jean-Christophe Vermot-Gauchy, tiré de son expérience d’homme de ménage (https://lethica.unistra.fr/lethictionnaire/article/les-mains-rouges-vous-allez-adorer-rentrer-chez-vous-de-jean-christophe-vermot-gauchy).

 Organisée par l’ITI Lethica de l’Université de Strasbourg, la journée d’études est labellisée par le projet OBERT (Observatoire Européen des Récits sur le Travail).

Les propositions de communication, en français ou en anglais,peuvent porter sur des études de cas de la tradition littéraire occidentale du XVIe siècle à l’extrême contemporain. Des propositions sur des textes datant des siècles XVIe-XVIIIe, d’habitude moins explorés dans les études sur la représentation du travail, sont très vivement encouragées.

Les propositions de communication doivent être envoyées à l’adresse siri@unistra.fr au plus tard le 26 août 2024. Elles comporteront un titre, un résumé d’un paragraphe et une courtebio-bibliographie de l’auteur ou l’autrice.

Bibliographie :

H. Arendt, La Condition de l’Homme moderne [1958], Paris, Pocket, 1988

W. Benjamin, Charles Baudelaire : un Poète lyrique à l’apogée du capitalisme [1939], Paris, Payot, 2021

M. Denning, « L’Internazionale dei romanzieri », dans F. Moretti (dir.), Il romanzo. Volume terzo. Storia e geografia, Torino, Einaudi, 2002, p. 625-643

N. Elias, La Civilisation des mœurs [1939], Paris, Calmann-Lévy, 1991

R. Fossier, Le Travail au Moyen Âge, Paris, Pluriel, 2012

N. Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Redistribution et reconnaissance, Paris, La Découverte, 2011

C. Grenouillet, Usines en texte écritures au travail, Paris, Garnier, 2015

A. Labadie, Le Roman d’entreprise français au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses de La Sorbonne Nouvelle, 2016

J. Lennon - M. Nilson, Working Class Literature(s). Historical and International Perspectives, Stockholm, Stockholm University Press, 2017

G. Lukács, Ontologie de l’être social. Le travail, la reproduction, Paris, Delga, 2011

R. Sennett, Le Travail sans qualités. Les conséquences humaines de la flexibilité [1998], Paris, Albin Michel, 2000

M. Spinelli et C. Baghetti (dir.), Représentations artistiques du travail des femmes. Entre persistance et changement, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2023

J.-P. Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique [1965], Paris, La Découverte, 1996

M. Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme [1906], Paris, Gallimard, 2004 

English version

Symposium : Must one imagine Sisyphus happy ?

ITI Lethica, Université de Strasbourg - October 16th 2024

Call for papers

On the occasion of the multimedia exhibition «Must one imagine Sisyphus happy?» (September 30th-October 18th 2024, ITI Lethica, MISHA, Université de Strasbourg), a symposium, also titled «Must one imagine Sisyphus happy?», aims to explore the discourses and postures that emerge from literary texts over the centuries (16th-21st centuries) concerning the ethics of work. The year 1543 is chosen as the symbolic starting date: it is the year of the publication of the third edition of Calvin’s Institutes, which, according to Max Weber, marks the birth of the ethics of capitalism.

During the Classical Age, and — although in a more complex and nuanced way — also throughout the Middle Ages, work was considered a degrading activity, unworthy of free men. Even texts that encourage work, such as Hesiod’s Works and Days (8th century b.C.) or the Rule of Saint Benedict (6th century), do not conceive it as a noble activity in itself, but rather as a form of religious discipline. Agricultural work was seen by Hesiod as a way to submit oneself to the will of the gods (Vernant 2006); to Benedictine monks, manual labor was a means to mortify the flesh and, though fatigue, ward off temptations (Fossier 2012).

It only with the rise of the bourgeoisie that a moral revolution occurs. As the new dominant class, the bourgeoisie opposes aristocracy by working, and by claiming the virtue of work, in contrast to the idleness of the aristocrats (Elias 1978). Since the 16th century, work has thus gradually been endowed with an ethical significance, and ideologically associated with the idea of happiness.

Even nowadays, in line with a debate that has lasted at least since the 18th century (Sennett 1998), two opposing conceptions of work confront each other: on one side, the idea of work as an alienated and alienating experience, devoid of any meaning; on the other, the idea of work as a source of personal fulfillment and happiness.

During the symposium, we aim to explore this issue by asking: is work, as Primo Levi suggested in The Wrench, «the best, most concrete approximation of happiness on earth»? Or is it, conversely, an «infernal time», devoid of all experiential value, as Walter Benjamin argued in his essays on Baudelaire? When, and under what conditions, does work cease to be one, and becomes the other? Why is this experience conceptualized, by different authors, is such diametrically opposed ways? What are the ideologies that emerge from literary texts? What is the place, within this debate, of the invisible labour of women, of care work, that has been long considered an act of love, rather than «actual» work?

From Robinson Crusoe to Annie Ernaux, we wish to engage, through a series of case studies, with the inner lives of the characters represented over the centuries. We will also question the perspectives and postures of the narrators, as well as those of the authors (who sometimes, especially before the 20th century, represent labour without having experienced it firsthand). In short, we wish to delve into the ambivalence of literary texts.

At the end of the symposium, we will be delighted to invite the participants to a visit of the exhibition, as well as to the performance Les Mains Rouges, by and with Jean-Christophe Vermot-Gauchy, based on his experience as a cleaner (https://lethica.unistra.fr/lethictionnaire/article/les-mains-rouges-vous-allez-adorer-rentrer-chez-vous-de-jean-christophe-vermot-gauchy).

Organized by ITI Lethica - Université de Strasbourg (https://lethica.unistra.fr/), the symposium is endorsed by the project OBERT (Observatoire Européen des Récits sur le Travail).

Proposals for presentations, in English or French, may focus on case studies from the Western literary tradition, from the 16th century to the present day. Proposals on texts from the 16th to the 18th century, which are less frequently explored in studies on the representation of work, are highly encouraged.

Proposals must be sent to Dr. Nicole Siri (siri@unistra.fr) by August 26th, 2024. They should include a title, an abstract (1000-1500 words), and a short biobibliography of the author.

References :

H. Arendt, The Human Condition [1958], Chicago, University of Chicago Press, 1998

W. Benjamin, The Writer of Modern Life. Essays on Charles Baudelaire [1939], ed. by M.W. Jennings, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2006

M. Denning, « L’Internazionale dei romanzieri », in Il romanzo. Volume terzo. Storia e geografia, ed. by F. Moretti, Torino, Einaudi, 2002, p. 625-643

N. Elias, The Civilising Process vol. I: History of Manners [1939], New York, Urizen Books, 1978

R. Fossier, Le Travail au Moyen Âge, Paris, Pluriel, 2012

N. Fraser, « Social justice in the age of identity politics: Redistribution, recognition, participation », WZB Discussion Paper, No. FS I 98-108, Wissenschaftszentrum Berlin für Sozialforschung (WZB), Berlin, 1998

C. Grenouillet, Usines en texte écritures au travail, Paris, Garnier, 2015

A. Labadie, Le Roman d’entreprise français au tournant du XXIe siècle, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2016

J. Lennon - M. Nilson, Working Class Literature(s). Historical and International Perspectives, Stockholm, Stockholm University Press, 2017

G. Lukács, Ontology of Social Being, vol. 3, Labour, London, Merlin Press, 1980

R. Sennett, The Corrosion of Character. The Personal Consequences of Work in the New Capitalism, New York, Norton and Company, 1998

M. Spinelli et C. Baghetti (dir.), Représentations artistiques du travail des femmes. Entre persistance et changement, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2023

J.-P. Vernant, Myth and Thought among the Greeks [1965], New York, Zone Books, 2006

M. Weber, The Protestant Ethic and the “Spirit” of Capitalism: and other writings, London, Penguin, 2002