
Appel à communications
Le Séminaire de l’Association des Lecteurs de Claude Simon se tiendra le 31 Janvier 2026 à la Maison de la recherche, Paris 3 (4 rue des Irlandais 75005 Paris) et aura pour thème :
“Claude Simon et la musique”
Si l’on connaît bien l’amour de Claude Simon pour la peinture, mainte fois revendiqué par l’écrivain, on a jusqu’à ce jour moins exploré son intérêt pour la musique. Celui-ci avait bien été évoqué lors du colloque organisé au Centre Pompidou en 2013, avec une communication sur ce thème présentée par David Christoffel, auteur d’opéras parlés, docteur en musicologie de l’EHESS et chroniqueur à Radio France. Mais la critique littéraire ne s’est pas véritablement emparée du sujet.
On relève, pourtant, quelques références musicales dans l’oeuvre, avec, par exemple, cette citation d’une chanson de Charles Trenet dans La Route des Flandres[1], ou encore cette allusion fugace à « la musique en uniforme » qui accompagne, dans Le Palace[2], la procession funèbre d’un résistant politique assassiné.
Ainsi, les évocations de la musique, quoique discrètes, sont récurrentes dans les romans. Le Sacre du printemps, paru en 1954, n’emprunte-t-il pas son titre à un célèbre ballet de Stravinsky ? Dans L’Invitation, la satire anticléricale ne s’appuie-t-elle pas sur la rupture entre la mise en scène religieuse et la gravité du texte sacré, avec ces prêtres orthodoxes « aux longues barbes, vêtus d'or, balançant des encensoirs, chantant des psaumes de leurs voix de basse[3] ».
Souvent allusives et éparses, la présence musicale se développe quelquefois en véritables scènes, comme dans ces pages d’Histoire décrivant un drame d’opéra où l’on voit l’héroïne « offrant au couteau son cou annelé tandis que dans la fosse ombreuse de l’orchestre où luisent faiblement les cuivres toutes les têtes des violons sont inclinées parallèlement sur les reflets d’acajou, les archets parallèles montant et descendant de plus en plus vite »[4].
C’est enfin la composition des romans elle-même qui manifeste, chez Simon, l’attrait exercé par la musique, en particulier par les structures contrapuntiques, faites d’allers-retours, de leitmotivs reparaissant, traçant des courbes de grande envergure d’un pan de l’oeuvre à l’autre, manifestant enfin cette unité structurale à laquelle l’écrivain tenait tant, non sans une certaine prudence, et une certaine humilité. Simon admet ainsi en 1975 que, « Leçon de choses s’inspire du modèle de la fugue, c’est-à-dire un thème initial (...) à partir duquel se développent des variations[5] », où elles sont investies des valeurs et des fonctions les plus diverses. Ces jeux de références intertextuelles entre langue et musique semblent traduire chez l’écrivain une peur de la dissolution explicitement nommée dans Histoire, s’inscrivant dans un rapport plus complexe de l’écrivain au temps/tempo:
« les sons tumultueux, passionnés, se poursuivant, s’entrelaçant, continuant à tisser ce véhément tapage, comme une furieuse et indécente protestation, qui s’élèverait non des instruments, des cordes gémissantes, mais des personnages immobiles, du cadavre fardé , des vieilles dames effondrées, les archets continuant à aller et venir de gauche à droite, de droite à gauche, descendant, remontant, se croisant, l’invisible armée des termites poursuivant son invisible travail, s’attaquant maintenant aux derniers restes, aux carapaces, aux étoffes, tout s’écaillant, s’émiettant, s’effritant, jusqu’à ce que le salon tout entier, les invités, les musiciens, les tableaux, les lumières, s’estompent, disparaissent.
Pensant : ne pas se dissoudre, s’en aller en morceaux »[6].
Il sera donc question, dans ce prochain séminaire Claude Simon, de la relation entre l’écrivain, son oeuvre et la musique, qu’il s’agisse d’allusions, d’évocations, de jeux de polyphonies ou de scènes marquées par la présence de la musique, ainsi que de la dimension musicale de la composition du récit.
Ce séminaire pourra aussi donner à entendre comment la musique et les artistes contemporains ont été inspirés par l’oeuvre de l’écrivain, si l’on pense par exemple à la pièce intitulée « Leçon de choses », composée par Philippe Hurel en 1993, ou au compositeur et flutiste Walter Feldmann, auteur de « Trois compositions musicales » et proposant, sur son site, une lecture musicale des Géorgiques (1995-2001).
Merci de faire parvenir vos propositions de communication avant le 13 juin 2025, conjointement aux deux secrétaires de l’Association des Lecteurs de Claude Simon, Romain Billet (rom1.billet@gmail.com) et Diane de Camproger (ddcamproger@gmail.com)
BIBLIOGRAPHIE :
ANDREWS (Mark W.), « Che faro ? Dove andro ? : les arias d’une narrativité orphique ». p. 83-96, dans Claude Simon 1 : à la recherche du référent perdu. Textes réunis par Ralph Sarkonak. Paris : Lettres Modernes, mars 1994, 152 p. (Revue des lettres modernes).
BACKES (Jean-Louis), Musique et Littérature. Essai de Poétique comparée (Paris : PUF, 1994).
EVANS (Michael), « The Orpheus myth in Les Géorgiques ». p. 89-99, dans Claude Simon : New directions. Textes réunis par Alastair B. Duncan, Edimburgh : Scottish Academic Press, 1985, 166 p.
EVANS (Michael), Claude Simon and the transgressions of modern art, New York, St Martin’s Press, 1988.
GRODEK (Elzbieta), « La mise en proximité par l’exemplification : les arts dans Leçon de choses de Claude Simon », dans L'art de très près : Détail et proximité [en ligne]. Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.
ORACE (Stéphanie), Le Chant de l’arabesque : Poétique de la répétition dans l’œuvre de Claude Simon, Amsterdam : Rodopi, 2005. 335 p. (Faux Titre ; 263)
SIMON (Claude), « Un entretien avec Claude Simon », Le Quotidien de Paris, 30 sept. 1975, p. 13.
ZUPANCIC (Metka), « Orphée à l’œuvre : polyphonie textuelle, musique scripturale dans Les Géorgiques de Claude Simon ». p. 289-298 dans Recherches sur l’imaginaire, Cahier XXVII, 37 études critiques : littérature générale, littérature française et francophone, littérature étrangère, Georges Cesbron (éd.), Presses universitaires de Rennes, 1999.
[1]La Route des Flandres, Minuit, 1960, p. 113.
[2]Le Palace, Minuit, 1962, p. 103.
[3]L’Invitation, Minuit, 1987, p. 43.
[4]Histoire, Minuit, 1967, p. 59.
[5]Claude Simon, « Un entretien avec Claude Simon », Le Quotidien de Paris, 30 sept. 1975, p. 13.
[6] Histoire, op. cit. p. 88-89.