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La notion de "scandale" dans la littérature, les discours, les arts et la société

Publié le par Marc Escola (Source : Mohamed Anis Abrougui)

La notion de « Scandale » dans la Littérature, les Discours, les Arts et la Société

Colloque international pluridisciplinaire – (6, 7 et 8 Novembre 2025)

Faculté des lettres et des sciences humaines de Sousse - Université de Sousse (TUN)

Laboratoire “Ecole et Littératures”

Appel à contributions

Le mot scandale est passé d’un sens d’obstacle physique à un sens figuré d’erreur religieuse, puis, par restriction, il a désigné la réaction suscitée par cette erreur : indignation et répulsion, jusqu’à, ensuite, signifier une grave affaire à caractère immoral  (Got Olivier, « Histoire du mot « scandale » », Sigila, 2014/1, n° 33, p. 13-21). L’évolution sémantique du mot est aussi intéressante que ses référents : scandale politique, judiciaire, sanitaire, religieux, d’état, et presse à scandale. Le mot désigne même de nos jours une marque de parfum : Scandal de Jean-Paul Gautier : « Le mot a beaucoup évolué depuis ses origines bibliques et théologiques ; il s’est comme laïcisé au cours de son histoire, proliférant dans des domaines de plus en plus divers en suivant l’évolution des sociétés. Mais je passe la plume à d’autres auteurs pour l’analyse sociologique et médiatique du phénomène, qui dépasse la pure analyse linguistique. » (Got Olivier, op. cit., 21)

Balzac avait affirmé que « toute personne qui pense fortement fait scandale ». L’idée nouvelle peut être saluée, par une minorité, certes, mais saluée et bien accueillie quand même, voire défendue. Or, toute idée nouvelle choque d’abord et crée une polémique avant d’être acceptée. La confrontation avec un système est inévitable pour générer un bouleversement, qu’il soit une idéologie, un courant artistique, une politique ou des croyances d’ordre social, moral ou religieux. 

Le besoin de stabilité face à un monde changeant constamment peut se justifier. Tout le classicisme repose plutôt sur l'imitation transformatrice des grands modèles antiques et s'il arrive à un écrivain classique de faire scandale, c'est par accident plutôt que par projet. Pascal dans ses Provinciales emploie la fiction pour aborder une controverse religieuse et s’assure un succès littéraire malgré la persécution des jansénistes qui n’a pu être évitée. Les moralistes du XVIIe siècle et en particulier La Rochefoucauld ont fait décrier contre leurs livres à cause de l’image jugée trop laide qu’ils ont rendue aux hommes d’eux-mêmes, mais qui a généré une réception dite participative par la production étonnante de commentaires publiés au sujet des Maximes.  Le Cid de Corneille a été à l’origine d’une polémique qui a mobilisé des acteurs politiques mais aussi l’Académie Française pour avoir transgressé des règles du courant classique. Le Tartuffe de Molière a été à l’origine d’une querelle aboutissant à son interdiction pour des raisons politiques et religieuses, mais la pièce est tout de même considérée comme un des principaux chefs d’œuvres de l’auteur. 

Plusieurs œuvres littéraires doivent leur succès en partie à un heurt du public Les Liaisons dangereuses de Laclos est une œuvre censurée malgré ses qualités littéraires, lesquelles ne seront reconnues que plus tard. La bataille d’Hernani consacrera Victor Hugo en tant que chef de file des romantiques, qui étaient conscients de l’aspect choquant de leurs productions. Madame Bovary, œuvre majeure de Flaubert vaudra un procès à ce dernier pour « offenses à la morale publique et à la religion ». Zola, avec Nana, s’assure le succès en traitant du sujet de la prostitution : 55000 exemplaires du texte sont achetés dès le premier jour de la parution ce qui confirme peut-être l’idée de Gourmont : « L’humanité moyenne aime les scandales. » Les Fleurs du mal de Baudelaire, J’irai cracher sur vos tombes de Boris Vian, les textes de Simone de Beauvoir ou de Françoise Sagan sont autant d’exemples du lien entre scandale et succès. Sartre et Camus eux-mêmes n’ont cessé de défrayer la chronique par leur engagement. La relation entre scandale et avant-gardisme à partir du mouvement Dada et du surréalisme dans le sens où ces courants en ont fait une pratique délibérée est aussi à questionner.

Les productions cinématographiques ont souvent lié le scandale au succès : L'âge d'or de Luis Buñuel, film français de 1930, anticlérical et anti-bourgeois, La maman et la putain de Jean Eustache, 1973, qui heurte par ses thématiques, Je vous salue Marie de Jean-Luc Godard, film français de 1985 qui fit scandale chez les catholiques. On peut aussi penser au scandale provoqué par l'attribution d'une récompense à Roman Polanski au Festival de Cannes en 2020 alors qu’il était accusé de plusieurs viols, car d’une façon générale, le contenu de l'œuvre peut faire scandale, mais aussi simplement le nom de l'artiste/écrivain/cinéaste qu'il est parfois difficile de séparer de son œuvre. Pensons par exemple à Céline, à Robert Brasillach, à Abel Bonnard.

Parfois assumée voire préméditée, mais pas toujours, la génération d’un scandale dépend de conjonctures historiques et sociales. La bande dessinée Tintin au Congo qui a été éditée au Congo même dans les années 1970 a fini par susciter l’indignation plus tard. De fait, au début du XXIe siècle, et avec l’évolution des mentalités, la bande dessinée a été attaquée par les antiracistes pour sa représentation dégradante des Africains. D’autres formes d’art misent sur le choc comme la peinture. Ainsi il en est des Scènes de massacre de Scio d’Eugène Delacroix pour sensibiliser le public à une cause, ou du Déjeuner sur l’herbe de Manet pour provoquer le spectateur avec un personnage féminin nu qui le fixe des yeux. Des contemporains usent du sang comme matière première pour peindre car c’est provocant. Tel est le cas de Vincent Castigilia ou de Rupi Kaur. Cette dernière peint des tableaux avec le sang issu de ses règles. Mais, La fiancée, œuvre de Joana Vasconcelos, une sculpture en forme de lustre du XVIIe siècle, constituée de 25000 tampons hygiéniques, fut refusée à une exposition au château de Versailles en 2012. De quoi questionner le lien entre scandale et succès. La sculpture peut être invoquée grâce à une production contemporaine, celle de Daniel Edwards qui fabrique en 2007 un Mémorial de la guerre en Irak montrant la mort du prince Harry. En imaginant que ce dernier était mort, l’artiste critique la décision de l’armée britannique de rapatrier le prince d’Irak pour le protéger, car mourir en servant la patrie lui aurait valu d’être admiré et respecté. Or, un « faux » mémorial, uchronique, l’humilie.  

 À l’époque de la culture du « Buzz », la notion de scandale se banalise à cause de stratégies marketing nouvelles, qui font que l’artiste est poussé à mobiliser les canaux de communication pour faire parler de soi et garantir le succès de sa production, et ce par tous les moyens.  L’artiste devient de plus en plus prescripteur de la réception de son œuvre au lieu de la subir. Avec des formats de communication de plus en plus standardisés, dont les tweets, les émoticônes à nombre limité, et les vidéos courtes, l’usage de la langue subit donc un déchirement entre les pressions du politiquement correct et la tendance à la provocation, notamment au nom de la liberté d’expression. Il serait alors intéressant de tenter une modélisation théorique ou une étude de ces formes d’expression. 

Selon Pierre Bourdieu la sociologie est une science qui dérange parce qu'elle est « capable de dévoiler ce qui devrait sociologiquement rester masqué » (« Le sociologue en question », in Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1980, p.48). Plusieurs chercheurs aujourd'hui s'intéressent au scandale pas seulement comme un fait social historiquement construit mais aussi comme épreuve à travers laquelle l'attachement aux valeurs est réévalué. Marcel Mauss, dans son Essai sur le don (1923-1924),  tente d’expliquer : « le scandale de la plus-value des peintures, sculptures et objets d'art », car, en effet, les œuvres d’art peuvent scandaliser juste à cause de la valeur qu’on leur accorde des décennies après leur production.

De Blic et Lemieux, dans « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », affirment que le chercheur ne peut plus envisager le phénomène scandaleux en termes d’anormal au sens sociologique, et c’est la reconnaissance de cette normalité, dans le sens de phénomène connu par toutes les sociétés, qui permet de lui attribuer une fonction. Malgré sa violence, le scandale est à étudier comme le crime ou le suicide par Emile Durkheim. (Politix, vol. 71, no. 3, 2005, pp. 9-38)

D'autres chercheurs, à l’instar d’Eric de Dampierre, abordent le scandale comme un objet de recherche qui fonctionne comme un révélateur de l'ensemble des rapports de forces, des structures et des espaces positionnels. Certains travaux ont pu proposer des voies de recherches prometteuses concernant le scandale en tant que révélateur des hiérarchies, des frontières internes dans une même communauté, et des normes dominantes considérées comme transgressées. L’analyse fonctionnaliste de Max Gluckman en est un fier exemple. D’autres comme John B. Thompson tiendront compte du passage d’une société dite pré-médiatique aux médias de masse dans leur analyse du phénomène. 

Le monde de la recherche scientifique comporte son lot de scandales : études frauduleuses, plagiat, et manipulation du facteur d’impact des revues scientifiques sont des exemples qui traduisent la crise de confiance qui touche les critères de qualité des recherches publiées. A ce propos, les travaux d’Anna Abalkina ont pu mettre sous la lumière les activités de revues dites prédatrices ainsi que les formes de plagiat ou de fausses collaborations impliquant des chercheurs confirmés. Le rapport entre journalisme et science aggrave souvent le problème puisque certains résultats de recherches passent par un communiqué de presse permettant de les mettre en avant, et se convertissent dans les médias en portant des titres hyperboliques et trompeurs. Il serait donc intéressant pour les chercheurs, acteurs du système actuel de la production scientifique, de l’évaluer, surtout que la science sert à prendre des décisions politiques : Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart commettent une faute de frappe dans un tableau Excel, et soulèvent un effet de seuil très significatif entre le taux d’endettement des pays et le niveau de croissance économique, ce qui encourage des décideurs politiques à adopter l’austérité et la rigueur budgétaire, injustement. Leur travail biaisé a été cité plus de 3300 fois dans des travaux scientifiques ultérieurs.

Le philosophe René Le Senne consacre un article à la notion où il affirme que « Le Mariage de Figaro a été un symptôme pré-révolutionnaire » (« Le scandale » In L'Existence, Paris, Gallimard, 1945, pp.127-155),  prouvant que le scandale ne peut donc être appréhendé que grâce à une approche multi voire interdisciplinaire, et comme l’affirme Eric de Dampierre : « il est digne d’être étudié » (« Thèmes pour l'étude du scandale » In: Annales. Economies, sociétés, civilisations, 9ᵉ année, n°3, 1954. pp.328-336)

Par ailleurs, force nous est d’affirmer avec Camille Bourniquel « A l'éternelle question : "Qu'est ce que la littérature ?" on serait tenté de répondre : "C'est le scandale ! » (Eric de Dampierre, « Thèmes pour l'étude du scandale » In: Annales. Economies, sociétés, civilisations, 9ᵉ année, n°3, 1954. pp. 328-336).

Axes de recherche (liste non exhaustive) :

_ La fonction du scandale dans les productions artistiques, les discours et en société

_ La formalisation du scandale à l’époque moderne et contemporaine

_ Liens entre scandale et succès, entre scandale et valeur

_ Les formes d’instrumentalisation de la réception via le scandale

_ La notion de scandale dans la pratique langagière actuelle

_ La crise de définition et la relativité de la notion de scandale entre libertés et pressions stabilisatrices.

Modalités de participation : 

La participation est ouverte à tous les champs disciplinaires. Les enseignants–chercheurs et chercheurs, les doctorants et les post-doctorants, sont invités à soumettre des propositions en français selon les normes, les délais et les conditions de l’appel à contributions résumées plus bas. Les actes du colloque feront l’objet d’une publication après soumission des communications rédigées au comité scientifique. Seuls les travaux des participants seront publiés.

Date limite de soumission des propositions de communication : 15 Août 2025

Date de réponse au nom du comité scientifique : 31 Août 2025

Date de remise de la communication rédigée : 4 Octobre 2025

Les propositions de communication ainsi que les communications rédigées doivent être envoyées en format Word et comporter : titre, auteur ( Nom, prénom, fonction et  établissement / université de rattachement ), mots clefs, résumé et bibliographie.  
Adresses e-mails auxquelles les propositions doivent être envoyées conjointement : bensaadnizou@yahoo.fr ; wijdene.bousleh@gmail.com ; abrougui.mohamed.anis@gmail.com 


Comité scientifique : 

Houda Ben Hammadi - Université de Carthage (TUN)
Nizar Ben Saad - Université de Sousse (TUN)
Ibtissem Bouslama - Université de Sousse (TUN)
Mokhtar Farhat - Université de Gafsa (TUN)
Lassaad Kâali - Université de Carthage (TUN)
Jean-Marie Kouakou - Université Houphouët Boigny-Abidjan (CI)
Chokri Rhibi - Université de Gabès (TUN)
Farah Zaim - Université de La Manouba (TUN)


Comité d’organisation :

Aida Bouhani ; Wijdène Bousleh ; Mouna Hajlaoui ; Mohamed Amine Jaballah ; Nouri Mbarek

Bibliographie indicative : 

Marc Angenot, La Parole pamphlétaire. Typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1995
Denis Benoît et Grutman Rainer, entrée « Centre et périphérie » du Dictionnaire du littéraire de Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala (dir.), PUF, 2002
Luc Boltanski, L’Amour et la justice comme compétences, Paris, Métailié, 1990
Boltanski et Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991
Pierre Bourdieu, « Le sociologue en question », in Questions de sociologie, Paris, Minuit, 1980
Pierre Bourdieu, Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Éditions du Seuil, 1998
Pierre Cabanne, Le scandale dans l’art, Paris, La différence, 2007
Jean Calvin, Des scandales, Paris, Droz, 1984
Guy de Bord, La société du spectacle, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1992
Vergniolle de Chantal (F.), « Moralité privée, morale publique. L’exception américaine », in Briquet (J.-L.), Garraud (P.), dir., Juger la politique. Entreprises et entrepreneurs critiques de la politique, Rennes, PUR, 2001
Eric de Dampierre, « Thèmes pour l'étude du scandale » In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 9ᵉ année, N. 3, 1954. pp.328-336
Michel Dobry , Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de la FNSP, 1986
Anne Garrait-Bourrier (dir.), De La norme à la marge. Écritures mineures et voix rebelles, Presses Universitaires Blaise Pascal, Coll. « Littératures », 2010
Olivier Got, Histoire du mot « scandale », dans Sigila 2014/1(N° 33), p. 13-21
Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception (1978), trad. fr., Gallimard,« Tel »
Laurent Jenny, Je suis la révolution. Histoire d'une métaphore (1830-1975), Paris, Belin, "L'extrême contemporain", 2008
François Lecercle et Clotilde Thouret (dir.), La haine du théâtre : controverses européennes sur le spectacle. Vol. 1, Controverses et polémiques et Vol. 2, Discours et arguments, Toulouse, Presses Universitaires du Midi, Coll. « Littératures classiques », 2019
Céline Léger, Jules Vallès, la fabrique médiatique de l’événement (1857-1870), Saint-Étienne, Presses Universitaires de Saint-Étienne, Coll. « Le xixe siècle en représentation(s)», 2021
René Le Senne « Le scandale. » In L’Existence. Essais par Albert Camus, Benjamin Fondane, M. de Gandillac, Étienne Gilson, J. Grenier, Louis Lavelle, René Le Senne, Brice Parain, A. De Waelhens, Paris : Les Éditions Gallimard, 1945, Collection “La métaphysique” dirigée par Jean Grenier, n°1
Michelle Perrot, Des femmes rebelles : Olympe de Gouges, Flora Tristan, George Sand, Tunis, Elyzad Poche, 2014
Corinne Perrin (dir.), Qu’est-ce qu’un événement littéraire au XIXe siècle ? Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2008
Myriam Roman, « La « bataille » d’Hernani racontée au xixe siècle », dans Saminadayar-Corinne Saminadayar-Perrin et Hélène Millot (dir.), Spectacles de la parole, éditions des Cahiers intempestifs, Coll. « Lieux littéraires », 2003
Guy Samama, « Le scandale : une dramatisation hyperbolique dans nos démocraties » In Sigila 2014/1, n°33, pp.35-46
Stéphane Van Damme, « L'éternel retour du scandale ? », Hypothèses, 2013/1 (16), p. 227-233