Séminaire doctoral interdisciplinaire “Travaux en cours” des doctorants de l’ED 131 - 2024/2025
“Silence !”
Le séminaire doctoral “Travaux en cours” de l’ED 131 de l’Université Paris-Cité portera cette année sur le thème “Silence !”. Il nous a paru intéressant, voire essentiel, de mener une réflexion autour de ce thème, au vu du contexte politique actuel à l’échelle nationale et internationale.
L’ED 131 étant pluridisciplinaire, nous accepterons des propositions émanant des champs suivants : littérature et étude de la langue, histoire, cinéma, architecture et histoire de l’art.
Le silence est avant tout, et dans son sens le plus littéral, une absence de bruit, mais il peut aussi et surtout être une absence de parole, la conséquence d’un mutisme, volontaire ou contraint. Ce thème peut être envisagé sous différents points de vue dont nous donnons un rapide échantillon non-exhaustif :
Le silence au sein de l’acte de communication
Faire silence signifie avant tout se taire face à un autre, ne pas pouvoir ou vouloir exprimer son opinion, son ressenti, son histoire voire taire ou faire taire une vérité.
Le silence peut dans un premier temps être volontaire, comme celui des cloîtres, des monastères, il signifie alors le retrait du bourdonnement de la conversation du monde, mais il peut aussi être celui du mensonge et des demi-vérités, que l’on se situe à l’échelle de l’individu ou de la société. On pourra étudier les différentes stratégies de communication ou de non-communication impliquant une forme de silence comme par exemple le gatekeeping médiatique ou encore la “communication silencieuse” qui fait coexister un “script public” et un “script caché”, nous renvoyant à la question de l’”infra-politique” (James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, 1992).
Mais le silence peut aussi être imposé de l’extérieur par la violence, l’intimidation. Nous pouvons penser aux phénomènes de censure mais également à des modes de silenciation plus insidieux tels que l’invisibilsation historique, reflétée par le silence des archives (production ou conservation des documents). Ces injonctions au silence ont souvent lieu dans le cadre d’un rapport de force, d’une dynamique de pouvoir qu’il sera aussi intéressant d’étudier : qui contrôle l’information ? qui la diffuse ? dans quel but ?
Le silence imposé peut concerner le domaine politique mais aussi la sphère privée comme on peut le voir, par exemple, avec la question du secret de famille traitée dans le film Festen de Thomas Vinterberg (1998). La problématique du silence va de paire avec celle du secret, qu’il soit un poids écrasant comme il l’est pour les conspirateurs meurtriers que sont Thérèse et Laurent dans Thérèse Raquin de Zola (1867), ou qu’il soit une source de pouvoir et de cohésion comme dans le cas de sociétés secrètes ou semi-secrètes, que l’on pense au crime organisé ou au premier Ku Klux Klan.
On pourra dès lors se concentrer sur les personnes ou groupes silencieux / silenciés, sur les figures d’autorité porteuses de l’injonction, les dynamiques entre ces deux pôles ou encore sur les conséquences qui découlent de ce silence : mystère, culpabilité, invisibilisation, etc.
Le silence comme moyen d’expression
Après le silence qui empêche de dire, nous devons paradoxalement considérer les cas où le silence est utilisé comme moyen d’expression, les cas où il devient une arme. À travers l’histoire, en effet, le silence a souvent été utilisé comme une façon de protester et fait office d’acte de résistance, à l’image des groupes féminins des Silent Sentinels qui manifestaient six jours par semaine en silence devant la Maison Blanche afin d’obtenir le droit de vote pour les femmes américaines, en 1919.
Le silence, lorsqu’il n’est pas un instrument de protestation, peut aussi être profondément éloquent et il conviendra de s’intéresser aux moyens mis en place pour faire passer un message sans paroles. Dans le film Drive my car de Ryusuke Hamaguchi (2021), on peut voir une comédienne de théâtre muette interpréter des scènes de Tchekhov avec une émotion hors du commun. On pourra aussi s’intéresser aux stratégies mises en place par les films muets pour pallier au silence et l’étude de tout autre moyen de communiquer sans bruit sera la bienvenue : gestuelle, danse, costume, etc.
Le silence peut, enfin, être le signe d’une communion, d’une connivence, quand la parole n’est pas nécessaire, ou le signe d’une désunion, d’une incompréhension comme l’a admirablement montré Flaubert dans son oeuvre, où chaque silence, chaque pensée non exprimée est une occasion de plus pour le narrateur de mettre en scène l’échec de la communication entre les êtres.
On pourra également penser à la problématique du non-dit, utilisé dans des circonstances diverses allant de l’honnête inaptitude à communiquer à la manipulation pure et simple - pensons notamment à Huis Clos de Sartre (1944) où tout l’enfer tient dans ces mots que l’on refuse à l’autre, louange ou pardon.
Le silence vécu
D’un point de vue plus subjectif, les perceptions du silence peuvent varier, tantôt reposant, tantôt angoissant, le silence est rarement vécu comme une expérience neutre : “Le silence éternel de ces espaces infinis” n’en finit pas d’effrayer Pascal (Pensées, 1670) ! Mais le silence peut aussi signifier la paix, conduire au retrait en soi-même et à la réflexion, que l’on pense aux divers ordres religieux, aux ermites, aux nouvelles pratiques plus récentes comme les “cures de silence” ou encore à Rousseau qui, après avoir abandonné le bruit du monde et laissé sa montre à l’orée des Rêveries du promeneur solitaire (1782), profite du silence de la nature pour méditer.
La réclusion, le retrait et le silence peuvent aussi être vécus comme une souffrance s’ils ne sont pas désirés, en particulier dans le cadre d’un emprisonnement, à l’image de La Religieuse de Diderot (1796) qui risque sa vie pour écrire, c’est-à-dire parler.
Le silence est également la marque de la solitude, de l’absence, parfois de la mort comme on peut le voir admirablement décliné dans la pièce de Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde (1990). On peut alors distinguer le silence total du silence partiel.
Comment le silence pratiqué est-il vécu ? Quel rôle joue-t-il dans la vie de celui qui le pratique ? Est-il synonyme de paix ou de repentance, de punition ? Comment est-il perçu par son entourage ? On pourra également étudier les personnages silencieux, aphasiques ou pseudo-aphasiques.
Musicalité du silence
On peut, enfin, penser au silence en termes musicaux, et donc poétiques. En effet, si la musique est un assemblage de notes et donc de sons, le silence, on l’oublie souvent, y tient un rôle central : sans lui, pas de rythme, pas de cadence, tout ne serait que cacophonie. On pourra donc s’interroger sur les usages poétiques et musicaux du silence et des “effets de sourdine” (Léo Spitzer, Études sur le style, 1918-1931).
On envisagera aussi les effets de contraste engendrés par l’utilisation du silence, que l’on s’intéresse à la poésie ou au cinéma. Dans le récit, enfin, on pourra réfléchir aux ellipses du texte qui peuvent former une véritable poétique narrative du silence.
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Modalités de soumission :
Les propositions de communications doivent comporter un titre, un résumé de 200 à 300 mots et une brève bio-bibliographie (le tout dans un seul document).
Pour proposer une communication, écrivez-nous à l’adresse suivante : doctorants.ed131@gmail.com
Date limite : 15 décembre 2024.
La première séance du séminaire aura lieu fin janvier.
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Bibliographie indicative :
Écriture et silence au XXe siècle, Ergal, Yves-Michel (dir.), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2008.
Mots. Les langages du politique, n°103, Barbet, Denis. Honoré, Jean-Paul (dir.), 2013.
Paysages sensoriels. Essai d'anthropologie de la construction et de la perception de l'environnement sonore, Candau, Joël, et Le Gonidec, Marie-Barbara (dir.) Paris, Cths, 2013.
Authier-Revuz, Jacqueline, « Hétérogénéité(s) énonciative(s) », Langages, 73, 1984, pp. 98 – 111.
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Barthes, Roland, « L’écriture et le silence », dans Le Degré zéro de l’écriture suivi de nouveaux essais critiques, Paris, Seuil, 1972.
Bergson, Henri, La Pensée et le mouvant, Paris, Ellipses, 1998.
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Christin, Anne-Marie, Poétique du Blanc : vide et intervalle dans la civilisation de l'alphabet, Paris, Vrin, 2009.
Corbin, Alain, Histoire du silence. De la Renaissance à nos jours, Paris, Albin Michel, 2016.
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