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Écrits ordinaires: pratiques d’écriture et de lecture dans les espaces domestiques et publics (Créteil)

Écrits ordinaires: pratiques d’écriture et de lecture dans les espaces domestiques et publics (Créteil)

Publié le par Marc Escola (Source : Rossana De Angelis)

Colloque international

Écrits ordinaires : pratiques d’écriture et de lecture dans les espaces domestiques et publics

12-14 novembre 2025, Université Paris Est Créteil

Céditec & Réseau de recherche international « Le genre bref dans l’espace public »

Habiter une « société de l’écrit » ne signifie pas seulement que les rapports sociaux et l’organisation de la vie personnelle sont structurés par l’écrit, mais aussi que l’écrit est omniprésent dans l’environnement et que l’individu évolue dans des espaces saturés par une multiplicité d’écrits dont la production et la réception articulent les activités de la vie courante. On planifie par exemple ses déplacements en consultant des horaires de transports en commun sur des tableaux d’affichage ou en établissant des itinéraires sur des applications GPS ; on rédige une liste de courses pour guider son parcours de consommation dans des commerces signalés par des enseignes où les produits sont emballés et étiquetés ; on consigne ses actions ou ses pensées dans un journal intime ; on admire, on déplore ou on crée des graffitis sur les murs de sa ville.

Ce colloque portera ainsi sur les pratiques d’écriture et de lecture ordinaires qui intègrent les actions et activités de la vie courante pour interroger l’articulation entre ces écrits ordinaires et les actions et activités dans lesquelles ils s’inscrivent. Ces pratiques routinières (Garfinkel, 1964) seront envisagées sur les deux terrains du quotidien de l’individu : l’espace domestique et l’espace public, en particulier urbain.

Trente ans après l’ouvrage collectif Écritures ordinaires (Fabre, 1993) – qui abordait des écrits hétérogènes allant de la liste de courses au journal intime, en passant par la correspondance, les souvenirs d’une soirée commune, ou par des écrits plus spécifiques comme les vœux à Sainte-Germaine, la chaîne de Saint-Antoine ou les lettres à un curé guérisseur – nous proposons de faire le point sur ces objets, notamment au regard des transformations que l’écriture numérique a apportées aux pratiques d’écriture et de lecture qui intègrent nos activités au quotidien. Comme le montre Paul Bertrand dans son ouvrage Les écritures ordinaires (2019), portant sur des écrits médiévaux, ces objets permettent de préciser les interactions entre écrit et société. Ses analyses codicologiques, diplomatiques et paléographiques démontrent que « l’écriture ordinaire n’a, semble-t-il, d’existence possible que comme empreinte – impression – de l’ordre social ou comme tentative, solitaire ou collective, d’y échapper dans l’innocence, la folie, la révolte écrites » (Fabre, 1993 : 14).

Les écrits ordinaires sont des écrits situés qui impliquent une relation continue, personnelle et familière à l’écriture. Ils participent des écrits fonctionnels (emplois du temps, consignes scolaires, notices, etc.), des écrits professionnels (rapports, comptes rendus, bilans budgétaires, etc.), et des « écrits coutumiers » (comme les cartes, les télégrammes ou les mails de vœux pour une naissance ou de condoléances pour une perte), ou encore des « écrits bruts » (Thévoz, 1979) produits par des personnes dont les compétences graphiques sont exceptionnelles et s’écartent justement des normes de l’écriture ordinaire. Le rituel du mariage, par exemple, fait intervenir différents types d’écrits dans ses différentes phases : bans, registres, livrets ; invitations, faire-part, remerciements ; livrets de cérémonie, menus, plans de table, listes de noce, etc. « Une fois installé dans le rite, l'écrit décline […] les diverses facettes du lien social. Contrat, attestation, transmission, mémoire… fondent la continuité d’une histoire commune » (Fabre, 1993 : 25).

Ce colloque visera ainsi à interroger la manière dont les écrits ordinaires contribuent à construire et maintenir une société commune. Qu’il s’agisse de nappes brodées à la main pour les trousseaux d'antan, d’étiquettes collées sur des pots de confiture, de billets de train imprimés sur du papier recyclé, de menus posés sur une table, de listes de courses glissées dans une poche ou enregistrées sur un téléphone portable, de billets cachés dans les trous d’un mur, tous ces écrits contribuent à construire la société que nous habitons. De fait, comme le montrent des publications récentes (Mahiou, 2023 ; Heck 2023), les notions de quotidien et d’ordinaire sont profondément liées aux écrits et écritures qui permettent de saisir les différentes formes de vie dont il est question. De plus, à l’époque de l’hypergraphie, ces écrits se métamorphosent : listes de courses sur des plateformes d’achat en ligne, notes enregistrées dans les téléphones portables, agendas numériques, journaux intimes publiés sur des blogs. Certaines pratiques résistent, d’autres se transforment, de nouvelles apparaissent. Un siècle après les expérimentations cubistes intégrant des papiers collés dans l’espace de la toile, les écrits ordinaires investissent l’art contemporain comme en témoignent les œuvres exposées à la foire Art Basel au Grand Palais en octobre 2024. L’exploration de ce vaste terrain permettrait d’éclairer des aspects de l’écrit et des dynamiques d’écriture restés en retrait, ainsi que leur rôle dans la structuration et le fonctionnement des sociétés anciennes, modernes et contemporaines, en ouvrant un espace d’observation des normes et des processus de normalisation touchant à la fois l’écriture et la société (cf. Nouveaux Actes Sémiotiques, dossier consacré à la sémiotique des normes, à paraître). Comme le dit Fabre, « l’ordre social génère de l’écrit » (1993 : 26). En retour, l’écrit ordinaire génère des normes. L’étymologie même d’ordinaire rappelle d’ailleurs la constitution et le maintien d’un ordre, sémiologique et social, dont nous pouvons essayer de comprendre les dynamiques et les enjeux à travers différents terrains d’exploration. « Loin d'être, pour ses usages ordinaires, un accompagnement ‘naturel’ de la vie, cette écriture-là est ordonnée aux deux sens du terme. Une autorité la sollicite, voire l’impose et elle est, en soi, porteuse d’un ordonnancement. L’occasion et la forme, la raison sociale et la raison graphique y sont inséparables. En ce sens, l’écriture n’est pas seulement le signe extérieur des pouvoirs, elle est devenue le truchement universel d’une anonyme mise en ordre portée par l’acte même d’écrire » (Fabre, 1993 : 17). 

Il s’agira donc d’analyser et d'interroger « des écritures que nos sociétés demandent, exigent, suscitent » (Fabre, 1993 : 26), à travers les différents outils épistémologiques fournis par les sciences humaines et sociales, en explorant les deux espaces d’écriture qui structurent notre société : l’espace domestique et l’espace public.

Écrits ordinaires dans l’espace domestique et dans l’espace public

L’espace domestique, c’est-à-dire l’espace intérieur d’une habitation, appartement ou maison, « organise la vie domestique et familiale en même temps qu’il est structuré par celle-ci » (Staszak, 2001 : 340). Il constitue un espace privé, celui du foyer, dans lequel se définit la sphère de l’intimité, et qui est aménagé et organisé selon les activités qu’on y pratique.

Les écrits ordinaires que nous retrouvons dans un espace domestique peuvent répondre à des fonctions très différentes (soin, mémoire, assistance, classification, comptabilité, etc.) au sein de sphères d’action et de discours également différentes (cuisine, bricolage, administration, communication, etc.). En outre, les pratiques d’écritures dépendent du choix de supports divers (feuilles volantes, blocs notes, carnets, agendas, etc. ; support papier ou numérique) et de l’adoption de formats précis (fiches de comptabilité, carnets d’adresses, tableurs numériques, etc.) qui orientent la manipulation des écrits et leur intégration dans des pratiques très différentes. Le geste scripturaire n’est pas qu’une production d’écrit, mais une action d’écriture qui contribue à ordonner le quotidien. Il devient ainsi une partie intégrante des dispositifs d’action mis en place (soin, ménage, commerce, cure, etc.). Par exemple, les écrits portant des formules ou des prières apotropaïques font partie du dispositif de cure comme une recette fait partie du dispositif de préparation d’un mets. Les pratiques d’écriture au sein de l’espace domestique varient de la gestion de la vie au quotidien à la construction de l’identité dans le cadre des écritures intimes ou des correspondances avec des proches. L’écriture peut prendre également une fonction thérapeutique en vue de la guérison de l’autre (voir les vœux s’adressant aux saints) ou de l’auto-guérison (journaux ou confessions s’adressant à soi-même).

Ainsi, sans exclusive, on pourra s’intéresser du côté de l’espace domestique, au-delà du journal intime sur lequel travaillent depuis longtemps les études littéraires, aux agendas, calendriers et plannings, aux calepins et post’it, aux carnets ou livres de recettes, aux listes de courses ou de choses à faire, aux herbiers, aux livres de comptes, mais aussi aux cartes postales et aux divers courriers personnels ou administratifs ainsi qu’à leurs enveloppes, ou encore aux courriels ou aux échanges, posts et commentaires sur les réseaux sociaux, ainsi qu’aux notices et aux modes d’emploi.

L’espace public sera ici conçu dans sa dimension spatiale et géographique, comme un espace concret et matériel où circulent et se rencontrent les individus. Il recouvre ainsi la notion de lieu public comme « entité susceptible d’être située géographiquement et d’être matériellement définie, fragment de campagne, village, quartier ou édifice particulier en ville » (Pinson, 2015). Dans cette perspective l’espace public regroupe la diversité des lieux accueillant du public : aussi bien les espaces clos et accessibles de manière plus ou moins contrainte comme les écoles, les universités, les hôpitaux ou les mairies, que les différents espaces ouverts de la voirie publique comme les rues, les places ou les jardins et l’ensemble des espaces de circulation et d’installation momentanée, urbains ou ruraux, mais aussi des espaces privés accueillant du public et offrant des services comme les commerces, les gares (et les trains), les aéroports (et les avions) ou le métro.

Selon l’environnement dans lequel il s’insère, un écrit affiché dans l’espace public peut remplir différentes fonctions, notamment une « fonction informative, empractique, directive, évaluative, persuasive, esthétique. […] Un message régulateur (Behr, 2005), par exemple, réalisera un discours empractique : s’appuyant sur un script idéalisé, il prescrira une certaine action ou bien en interdira une autre (stationnement à tel endroit, dépôt d’objets autorisé ou non, respect de la limitation de vitesse ; nettoyage de la chambre d’hôtel […]) à tel ou tel moment de la réalisation du script par un actant » (Behr et Lefeuvre, 2019). L’espace public est ainsi saturé de messages qui prescrivent un comportement (Utilisation interdite en cas d’incendie), orientent la circulation (signalisation routière, signalétique des transports en commun), incitent à la consommation (publicité), à l’adhésion (tracts politiques), à la contemplation ou à la révolte (graffitis).

Les écrits présents dans les espaces publics présentent également une grande variété, dans laquelle on peut mentionner par exemple la diversité des panneaux et affiches, la signalisation et la signalétique, les enseignes, les graffitis et les latrinalia, les ex voto, mais aussi les étiquettes et emballages de produits de consommation ou encore les tickets de métro, les billets de train et les billets de spectacles.

Les écrits présents dans ces espaces constituent depuis la fin du siècle dernier l’objet des études du paysage linguistique (Linguistic Landscapes Studies), qui s’intéressent aux textes affichés dans les espaces publics ouverts dans une perspective socio- et ethnolinguistique (voir notamment la présentation qu’en fait Kelleher en 2017 et les numéros de la revue Linguistic Landscape qui s’y consacre depuis 2015). Ces écrits constituent également depuis un peu plus d’une décennie l’objet des recherches du réseau international « Le genre bref dans l’espace public », qui portent plus largement sur les textes brefs présents dans les lieux publics et s’intéressent aux formes linguistiques et sémiotiques qu’ils actualisent dans une perspective énonciative, grammaticale et pragmatique (Dhorne 2018 ; Behr et Lefeuvre 2019a, 2019b ; Bédouret-Larraburu, Copy et Nita 2023 ; Dhorne 2024). 

Dans chacun de ces espaces sont mobilisés une grande diversité d’écrits, liés dans l’un à l’organisation de la vie domestique et privée, dans l’autre à l’organisation de la vie publique et sociale, dont certains articulent ces deux sphères au même titre que celles-ci s’articulent dans ces deux types d’espaces.

Dimensions et domaines d’étude de ces écrits

Ces écrits pourront être abordés dans la diversité de leurs supports (voir Cormier et De Angelis, 2023), de leurs formats (voir Cormier et De Angelis, 2024) et de leurs techniques d’inscription – manuscrites, imprimées, numériques – mais également du point de vue des transformations qu’impliquent les évolutions des techniques, des technologies et des fonctions de l’écriture, de ses prémices à aujourd’hui (Souchier et al., 2019). L’analyse de ces écrits pourra ainsi être envisagée dans une perspective synchronique (actuelle ou historique) ou diachronique, et du point de vue de leur production ou de leur réception, pour rendre compte des pratiques d’écriture ou de lecture qui y sont attachées. Les communications pourront porter sur les différentes composantes de ces écrits, sur leur diversité, sur leurs fonctions et leur circulation au sein de la société qu’ils contribuent à construire, mais aussi sur les méthodes de collecte et d’analyse qui permettent d’en rendre compte.

Il s’agira ainsi d’interroger les genres d’écrits ordinaires dans une perspective linguistique et sémiotique, et plus largement dans les domaines scientifiques qui comptent les écrits parmi leurs objets, comme la sociologie ou l’anthropologie, l’histoire ou l’archéologie, mais aussi la philosophie, la didactique ou les sciences de l’information et de la communication.

Les interventions pourront notamment porter sur des aspects matériels, énonciatifs, discursifs, grammaticaux, textuels ou pragmatiques de ces écrits, et viseront à identifier les dynamiques de stabilisation et de formalisation qui les caractérisent, pour définir et distinguer les normes rédactionnelles qui les produisent, en prêtant une attention particulière à l’articulation entre supports, formats et contenus textuels, ainsi qu’à l’orientation de ces écrits vers l’action et à leur intégration à des programmes d’activité.

Ce colloque se donne ainsi comme objectif scientifique de contribuer à l’élaboration d’une théorie de l’écriture ordinaire qui – dans le sillage d’une approche sémiolinguistique, et à travers un travail collectif d’exploration de ces terrains – pourrait rendre compte du sens et de l’impact de nos pratiques d’écriture et de lecture au quotidien dans la construction du monde.

Format des communications et modalités de soumission

Les communications dureront 30 minutes assorties de 10 minutes de discussion.

Les propositions de communication, en français ou en anglais, seront anonymes et ne dépasseront pas 500 mots hors bibliographie. Elles comporteront le titre de la communication, un résumé présentant la problématique de recherche, l’approche théorique et la méthodologie adoptées, les données analysées et les résultats prévus, ainsi qu’une bibliographie.

Les propositions sont à déposer sur la plateforme SciencesConf avant le 3 mars 2025 sur la page suivante : https://ecritsord.sciencesconf.org/

Langues du colloque : français et anglais

Contact : ecritsordinaires@gmail.com

Calendrier général

26 novembre 2024 : publication de l’appel à communication

3 mars 2025 : date limite de soumission des propositions de communication

2 juin 2025 : notification aux auteurs

16 juin 2025 : ouverture des inscriptions au colloque

31 juillet 2025 : date limite d’inscription au colloque

29 septembre 2025 : diffusion du programme définitif

Frais d’inscription pour les intervenants au colloque : 150€

Conférenciers invités

Béatrice Fraenkel (EHESS)

Paul Bertrand (Université catholique de Louvain)

William Kelleher (Université Rennes 2 – LIDILE)

Cécile Mahiou (LAMO)

Rudolf Mahrer (Université de Lausanne)

Jean-Marie Klinkenberg (Université de Liège)

Comité scientifique

Irmtraud Behr (Université Sorbonne Nouvelle)

Paul Bertrand (Université Catholique de Louvain)

Marion Colas-Blaise (Université du Luxembourg)

Christine Copy (Université Gustave Eiffel)

Antónia Coutinho (Universidade Nova de Lisboa)

Anne-Laure Daux (Université Sorbonne Nouvelle)

France Dhorne (Université Aoyama Gakuin)

Claire Doquet (Université de Bordeaux)

Dominique Ducard (Université Paris-Est Créteil)

Pauline Flepp (Université Paris-Sorbonne)

Béatrice Fracchiola (Université de Lorraine)

Béatrice Fraenkel (EHESS)

Matilde Gonçalves (Universidade Nova de Lisboa)

Joanna Gornikiewicz (Université Jagellonne de Cracovie)

William Kelleher (Université Rennes 2)

Jean-Marie Klinkenberg (Université de Liège)

Mustapha Krazem (Université de Lorraine)

Alice Krieg-Planque (Université Paris-Est Créteil)

Céline Largier-Vié (Université Sorbonne Nouvelle)

Julie Lefebvre (Université Paris Nanterre)

Florence Lefeuvre (Université Sorbonne Nouvelle)

Sabine Lehmann (Université Paris Nanterre)

Virginie Lethier (Université Franche-Comté)

Cécile Mahiou (LAMO)

Rudolph Mahrer (Université de Lausanne)     

Caroline Mellet (Université Paris Nanterre)

Tiziana Migliore (Università di Urbino Carlo Bo)

Cyrielle Montrichard (Université Paris-Est Créteil)

Emilie Née (Université Paris-Est Créteil)

Marie Odoul (Université Paris-Est Créteil)

Antonio Perri (Università degli Studi Suor Orsola Benincasa - Napoli)

Isabella Pezzini (Università Sapienza di Roma)

François Provenzano (Université de Liège)

Magali Roumy-Akue (Université Paris-Est Créteil)

Annabelle Seoane (Université de Lorraine)

Aude Seurrat (Université Paris-Est Créteil)

Frédérique Sitri (Université Paris-Est Créteil)

Comité d’organisation

Agathe Cormier (agathe.cormier@u-pec.fr)

Rossana De Angelis (rossana.de-angelis@u-pec.fr)

Gabriella De Luca (gabriella.de-luca-silva-moreira@u-pec.fr)

Repères bibliographiques

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