Colloque initié par l'Université d’Amsterdam en collaboration avec l'Université de Palerme.
Faire histoire : lectures croisées d’Annie Ernaux et Philippe Vilain
Amsterdam Les 30 et 31 octobre 2025.
Comité d’organisation :
Sabine van Wesemael (Université d’ Amsterdam) & Francesco Paolo Alexandre Madonia (Université de Palerme).
Date de tombée : 31 mai 2025
Parmi tous les couples d’écrivains que retient l’histoire de la littérature contemporaine, après ceux formés par Marguerite Duras et Yann Andréa, Benoîte Groult et Paul Guimard, Dominique Rolin et Philippe Sollers, Virginie Despentes et Paul Beatriz Preciado, celui, peu médiatisé en son temps, constitué par Annie Ernaux et Philippe Vilain, n’en est pas le moins fascinant. Parce que ce couple moderne, libre, dont la différence d’âge de vingt-neuf ans présentait assurément dans le contexte des années 90 un caractère licencieux, pour ne pas dire scandaleux, défiant son époque, les normes et bonnes mœurs d’une société où la domination masculine faisait encore loi. Parce que leur rencontre semble une heureuse prédestination : ils ont des origines régionales normandes identiques, appartiennent aux classes sociales inférieures, ont fait les mêmes études de lettres dans la ville de Rouen et sont identiquement engagés dans le fait littéraire à travers la passion de la littérature, de l’écriture, et la profession d’enseignant de lettres ; ils sont également tous les deux des transfuges de classe. Et si la durée effective de l’histoire -de cinq années et demie : de janvier 1994 à juin 1999- paraît relativement brève, à l’inverse, la durée globale de leur relation, jalonnée par une intense production écrite s’étend sur une longue période de vingt-neuf ans dont témoignent une correspondance composée de près de cent quatre-vingt lettres écrites entre 1991 et 2001, deux entretiens, des articles universitaires, un doctorat, ainsi qu’une suite de six textes publiés de 1996 à 2022 s’inscrivant dans un dialogue intertextuel ininterrompu et offrant des traces précieuses de la mémoire de cette histoire :
. dans Fragments autour de Philippe V. (1996), Ernaux révèle sa rencontre avec Vilain, qu’elle fait entrer en littérature en le rebaptisant du nom de « Philippe V. », elle raconte, de façon clinique, leur première fois amoureuse, notamment le geste d’émancipation féminine qui a initié leur histoire.
. dans L’étreinte (1997), Vilain fictionne leur relation, raconte la jalousie particulière éprouvée à l’égard du passé d’A.E. inscrit dans Passion simple, et réinvente leur propre rencontre avant même d’imaginer, par anticipation, leur séparation alors que leur relation n’était pas achevée.
. dans L’occupation, publié sous une forme de nouvelle dans Le Monde en 2001, puis aux éditions Gallimard en 2003, Ernaux relate la jalousie qui la tourmente et l’occupe pour la nouvelle compagne de Vilain ; jeune homme, représenté négativement, renommé « W », qu’elle cherche à reconquérir après avoir décidé un an plus tôt de le quitter.
. dans un chapitre de Défense de Narcisse (2005), intitulé « Petits meurtres entre amis : un genre sans éthique », Vilain récapitule les écrits et se livre à une interprétation critique de leur relation intertextuelle.
. dans les Années (2008), quelques passages évoquent Vilain.
. dans L’atelier noir (2022), journal d’écriture, quelques notations concernent Vilain.
. dans Le jeune homme (2022), Ernaux revient sur cette relation amoureuse avec Vilain, le jeune homme réapparaissant cette fois sous les traits de « A. », en se focalisant sur le caractère socialement et économiquement déséquilibré de leur relation dont elle révèle explicitement la mécanique d’emprise et de domination : « Il y a trente ans, je me serais détournée de lui. Je ne voulais pas alors retrouver dans un garçon les signes de mon origine populaire, tout ce que je trouvais « plouc » » ; « j’étais en position dominante et j’utilisais les armes d’une domination » ; « notre relation pouvait s’envisager sous l’angle du profit » ; « J’avais conscience qu’envers ce jeune homme, qui était dans la première fois des choses, cela impliquait une forme de cruauté. ». Ernaux voit le jeune homme Vilain comme « l’ange révélateur » de Théorème de Pasolini, qui la fait se remémorer son premier monde, tout en réduisant le jeune homme à son essence sociale, à ses déterminations, dépourvu de transcendance, lui déniant étrangement le potentiel d’écrivain et d’intellectuel qu’il deviendra.
. dans Mauvais élève (2025), Vilain, retraçant une partie de sa trajectoire, sa transformation sociale et culturelle s’opérant de l’année 1987 à l’année 2001, de sa relégation scolaire en lycée technique jusqu’à l’obtention de son doctorat, en profite pour revisiter minutieusement sa relation avec Ernaux, depuis sa naissance épistolaire jusqu’à sa fin : la rencontre et la scène de la première fois complètent ainsi la version de Fragments autour de Philippe V. ; la jalousie y est expliquée pour relativiser celle décrite dans L’occupation ; les circonstances de la décision de se séparer, que, dans L’occupation et Le jeune homme, Ernaux réaffirme avoir prise, ici recontextualisée et précisée, apparaît comme une décision d’impuissance, prise par défaut – ce que confirme la dramatique scène où Ernaux tente de renouer avec Vilain. Ce texte complète les précédentes versions sur leur relation, par la révélation d’informations omises par Ernaux ; en plus de nous offrir une relecture déterminante de leur relation, Mauvais élève s’avère un document précieux dans l’histoire de la littérature puisqu’il nous fait pénétrer dans l’intelligence du fonctionnement de l’œuvre ernalienne.
Nous souhaitons, dans la continuité des études déjà consacrées à cette relation d’intertextualité (cf. bibliographie), systématiser des lectures croisées de ces deux œuvres afin de voir comment ces oeuvres, différentes mais inextricablement liées, appréhendent cette relation pour faire histoire, une histoire réélaborée de manière sérielle, épisodique, offrant, entre rebondissements et mystères, dénis et omissions, vérités et contre-vérités, amour et esprit de vengeance, des traces précieuses de la mémoire de cette relation. Le principe des lectures croisées, en plus de contribuer à une réflexion plus large sur l’intertextualité et sur la manière dont les textes se répondent entre eux, permettra de comprendre leur fabrication respective et d’éclairer de façon plus concrète les dispositifs narratifs et dialogiques mis en place tout à la fois pour observer les influences réciproques et vérifier quelle lecture ernalienne fait Vilain mais aussi quelle lecture vilainienne fait Ernaux (depuis Fragment autour de Philippe V., celle-ci s’applique à faire de Vilain un personnage récurrent, moteur de son œuvre), d’examiner comment l’un et l’autre s’influencent mutuellement, s’accordent et se contredisent, construisent et déconstruisent des représentations (celles de l’autre, de l’amour, de la société), élaborent des stratégies de solidarisation et de distinction, par une dynamique de reprises successives, suivant une écriture en perpétuel mouvement désireuse de faire histoire, d’inscrire deux destinées individuelles dans le paysage de la littérature autant que dans une durée de temps. Il semble bien, en effet, et ce sera d’ailleurs notre hypothèse, que l’entrecroisement des textes de non-fiction et de fiction, voire des péritextes (articles, entretiens, thèse de doctorat), participe d’une dynamique interne à la constitution de ces œuvres, manifestée par l’intensité et la cumulation de la production mutuelle, par la redondance des représentations personnelles, la récurrence et la reprise des contenus, la confrontation de deux symboliques figures auctoriales et l’élaboration de deux esthétiques très singulières, l’une, dogmatique, dont la factualité tranchante tient lieu de vérité et fait figure de puissance impassible, l’autre, pyrrhonienne, dont le scepticisme questionne cette vérité et se rend vrai par l’action du doute.
À ce titre, cette mise en regard interroge plus largement d’autres enjeux de la littérature, dont nous pourrions formuler ici plusieurs approches indicatives :
. Approche historique. Cette relation, qui commence par une foisonnante correspondance dans les années 90, une époque où l’on s’adresse encore des lettres et où l’internet n’en est qu’à ses balbutiements, s’inscrit dans la tradition de la littérature d’éducation sentimentale et n’est pas sans rappeler les relations entre une « initiatrice » et son mentor, comme celles de Madame de Warens et Jean-Jacques Rousseau, de Germaine de Staël et Benjamin Constant, ou celle, mise en roman, du Rouge et le Noir de Stendhal entre Julien Sorel et Madame de Rênal. Il serait intéressant de confronter ce couple de la littérature à ses illustres prédécesseurs, mais également à d’autres célèbres couples d’écrivains contemporains (Paul Valéry et Catherine Pozzi, Aimé et Suzanne Césaire), et d’examiner les modalités et les conditions du faire histoire ? Comment l’histoire se raconte et s’écrit, s’argumente et comment l’écriture fabrique l’histoire, froidement, sans affects, ni romantisme ou sentimentalisme, sans véhiculer une quelconque nostalgie : l’écriture semble vouloir tenir cette histoire à distance aussi bien en l’inscrivant dans un paradigme historique qu’en en produisant de nouveaux discours à partir d’elle, en fabriquant continuellement son sens.
. Approche théorique de la littérature autobiographique. Quelle relation l’autobiographe radicale Ernaux et l’autofictionniste Vilain entretiennent avec la vérité, et comment ils la comprennent (on sait que Ernaux assimile la vérité à un régime factuel d’écriture, garante supposée de l’objectivité, un régime que conteste Vilain, qui, lui, pense, selon l’axiome de Gide, que la vérité et la sincérité surviennent dans un processus de fiction et que l’autobiographie ment tout en faisant commerce de vérité) et comment ils la comprennent, en usent et la détournent, interrogent la modalité du vrai, ce qui se joue pour chacun d’eux, au-delà, dans la représentation stratégique de soi.
. Approche narratologique. Si la littérature fonctionne et se déploie à partir d’un héritage, comment met-elle en évidence une filiation d’écriture : pour le dire autrement, de quelle façon l’œuvre de Vilain hérite-t-elle de l’écriture d’Ernaux qui, elle-même, hérite de celle de Simone de Beauvoir, et comment se manifeste cette procédure d’enchâssement scriptural ? Pouvons-nous parler d’une circulation épigonale, voire de collaboration ou de solidarisation littéraire ? Quel est le rapport de réciprocité entre les deux œuvres et quel est la nature de ce rapport : comment fonctionne l’intertextualité et l’hypertextualité des récits et des contre-récits ? De quelle manière une œuvre s’inspire-t-elle de l’autre et l’enrichit-elle ? Par quels procédés s’infléchissent-elles, créent-elles une dynamique discursive, et quelles sont les analogies stylistiques, thématiques, génériques, et leurs antinomies et dissemblances foncières ? En termes d’influences concrètes et d’interactions textuelles, ne pouvons-nous pas dire que, si La dernière année hérite de La Place, Pas son genre s’offre comme une transposition de l’histoire du Jeune homme entre François Clément -double de la professeure agrégée narratrice- et la coiffeuse -double du mauvais élève, de la caissière représentée dans la dernière scène de La place ? De même, si, d’évidence, L’étreinte se donne à lire comme un hypertexte de Passion simple, ne serait-il possible de lire Faux-père comme un texte filial de L’événement, une représentation de l’amour dans sa version masculiniste ? Et, constatant que l’idée d’une jalousie associée à la fiction dans L’étreinte est reprise dans L’occupation par la contradiction d’une « jalousie du réel », que la mention de Naples dans Le jeune homme laisse penser qu’Ernaux a lu Mille couleurs de Naples, de même que la mention de Pasolini (Ernaux fait de Vilain un ange pasolinien dans Les années et Le jeune homme, et Vilain préfacera plus tard un ouvrage consacré à Pasolini), que ces mentions semblent produire un dialogue crypté, des messages codés s’insérant astucieusement dans une dynamique narrative et articulant son fonctionnement ? Comment ne pas voir non plus dans La honte, dédié à Philippe V., écrit dans le temps de la relation, un texte inspiré par l’enfance violente vécue par Vilain, comme il le raconte dans Mauvais élève ? Comment ne pas penser également qu’Ernaux aurait eu l’idée d’écrire, sous cette forme, son livre majeur L’événement, si elle n’y avait pas été incité par cette incroyable coïncidence de se retrouver, en séjournant dans l’appartement de Vilain, face au bâtiment de l’Hôtel Dieu de Rouen où elle avait été hospitalisée vingt ans plus tôt, ainsi que cela est expliqué dans Mauvais élève ?
. Une approche sociologique. La Place, La dernière année et Mauvais élève appartiennent à cette tendance des récit de transfuge, mais en quoi se distinguent ces types de récits et comment leur représentation du transfuge diffère-t-elle : à l’instar de Didier Eribon et d’Edouard Louis, Ernaux, qui se reconnait dans une position de transfuge bourgeoise, avec toutes les idées ce que ce terme sociologique, qu’elle a contribué à populariser, véhicule, comme la trahison, le désir de revanche sociale, la violence symbolique, le paradoxe du ressentiment envers la bourgeoisie et le désir manifeste d’y appartenir, de s’approprier des codes de sa culture, quand Vilain, à l’inverse, qui se reconnaît plutôt comme un déclassé, un « nomade social », n’éprouve pas le sentiment de trahison parce qu’il ne semble pas en rupture effective avec son milieu d’origine que, confesse-t-il dans Mauvais élève, il continue de fréquenter, ne s’est pas désolidarisé de sa culture et de ses fréquentations sociales. En quoi leurs textes confortent ou subvertissent les modalités du récit de transfuge et de la notion sociologique ? Si différence il y a, quels sens revêtent ces différences, et vont-elles jusqu’à infléchir l’idéologie des textes, la circulation de leurs idées (les travaux universitaires de Vilain consacrés à Ernaux utilisent la méthodologie sociocritique) ? De même, en quoi le roman Pas son genre, qui s’instruit des études sociologiques relatives à la recherche du conjoint en opposant deux éthos de classe sociale, illustre les thèses d’une sociologie de la distinction développée par Pierre Bourdieu, reprise dans l’œuvre d’Ernaux ?
. Approche politique des imaginaires et des représentations genrées déployés dans ces oeuvres : dans quelles mesures la forme transpersonnelle de l’écriture ernalienne épouse la visée ontologique de l’écriture vilainienne, qui est de rechercher structurellement un « être blessé » derrière les narrateurs ou les personnages -des perdants, des hommes et des femmes en rupture, des divorcés, des trompés, etc- qu’elle expose ? Le dégenrement de l’écriture d’Un matin d’hiver, dans lequel Vilain emprunte la voix d’une femme pour décrire une disparition, n’est-il pas une exemplification de la technique de transpersonnalisation ? Il faudrait se demander comment, dans ces œuvres, la représentation subversive du conjugal appréhende, soit sous la forme d’une soumission ou d’une déconstruction, l’organisation patriarcale ainsi que les stéréotypes masculinistes et les représentations sociologiques de la domination : le couple Ernaux-Vilain s’offre à la société comme un corps social dissymétrique et désaccordé : alors qu’Ernaux, dans Le jeune homme, semble mettre son couple au défi de la société « pour changer les conventions », Vilain, montre dans Mauvais élève, au contraire, l’embarras de sa compagne lorsque le couple se trouve en situation de mondanité dans les institutions traditionnelles, la difficulté de celle-ci à assumer pleinement son désir profond d’émancipation : sous le regard social, le couple affiche ses limites, il dysfonctionne, non seulement il n’est pas en adéquation avec son milieu mais ne fusionne plus. Vilain, alors étudiant provincial inconnu, raconte la violence sociale qu’il subit dans le monde, l’indifférence et le mépris auquel il est confronté, ajoutés à la désolidarisation de sa compagne. De même, lorsqu’Ernaux, dans Fragments autour de Philippe V. explique le geste de passer sa main dans les cheveux du jeune homme comme un geste d’affranchissement féminin, une reconquête de la domination féminine sur les hommes, ou lorsque le narrateur de Faux-père perçoit comme une forme de viol le fait que sa nouvelle compagne se laisse faire un enfant de lui. Devons-nous parler d’œuvres féministes et masculinistes pour caractériser ces oeuvres, dans la mesure où celles-ci semblent renverser les topoï genrés, que ce soit en exhibant une domination sociale masculiniste chez Ernaux, ou bien en psychologisant le domaine des sentiments, attribué aux femmes, chez Vilain : alors qu’Ernaux refuse la psychologie, Vilain renouvelle le roman psychologique d’analyse sous le nom de « fiction pensive » ?
. Approche éthique de la littérature autobiographique : qu’est-ce qu’un auteur doit s’interdire, s’autoriser à révéler, à dénoncer ? Et la littérature doit-elle se soucier de l’éthique, être morale, ne peut-elle pas être également, sans se départir de sa mission littéraire, un instrument du sacrifice ? Cette somme de textes ne doit-elle pas se penser comme une relation d’emprise scripturale et nous faire douter de la neutralité affichée : en représentant Vilain sur le mode de la dépréciation, Ernaux semble mettre en œuvre des stratégies de réduction et de disqualification, et qui, plus profondément, semblent procéder d’une intention ambigüe qu’Ernaux qualifie elle-même comme le « désir pervers » d’une « entreprise de dévoilement » : dans Mémoire de fille (2016) : « A moins, en y réfléchissant, qu’il ne s’agisse du désir pervers de m’assurer de leur existence pour les compromettre dans mon entreprise de dévoilement, pour être leur Jugement dernier. » ; dans un entretien avec Fabien Ribéry, « Les bourgeois m’inspirent de la pitié » (3 février 2017) : « Peu importe, même si j’ai la tentation un peu perverse du Jugement dernier, c’est-à-dire de sortir les personnes de l’anonymat dans lequel elles sont pour les exposer sur la place publique, et leur demander de rendre des comptes. Ce n’est pas rien sur le plan symbolique. » L’écriture ernalienne, envisagée comme un couteau, ne joue-t-elle pas dès lors sur ce plan symbolique, n’est-elle pas de cet ordre « pervers » et n’obéit-elle pas, souterrainement, dans ses replis les plus secrets et les moins vertueux, derrière des projets littéraires ou sociologiques plus nobles, à l’élaboration d’un dispositif dangereux, de « cruauté » envers le jeune homme, au désir d’exposer « Philippe V. » sur la place publique, à sortir « W » et « A » de l’anonymat, et leur demander de rendre des comptes, les exposer au Jugement dernier du lecteur souverain ? Et dans quelles mesure, en répondant, Vilain, qui prétend se reconnaître dans la figure vengeresse incarnée par Pupetta, abandonnée par les institutions, dans La Malediction de la Madone, ne se fait-il pas justice lui-même ? De fait, la plasticité de l’écriture autobiographique se rend équivoque : dans quelles mesures s’effacent ses enjeux au profit d’une toute puissance de l’écriture, d’une volonté de pouvoir et de domination, d’une certaine rhétorique de la manipulation, d’une forme d’anthropophagie littéraire, de cannibalisme ou de vampirisation verbale, d’un jeu de reformulation et de reprises, de règlements de compte et de droit de réponse qui n’est pas sans rappeler des échanges controversés entre les textes d’Eva Ionesco et Simon Liberati, d’Emmanuel Carrère et Hélène Devynck.
. Approche herméneutique. Le dialogue qui sous-tend ces textes pour mieux féconder l’imaginaire du lecteur engage une herméneutique particulière et interpelle en effet le lecteur qui, pour le coup, semble placé comme juré d’un procès et pose la limite éthique de l’autobiographique puisque, abrité par une thématique générale (l’amour, la jalousie, la différence sociale, le temps), chaque texte ajouté semble instruire une procédure, inviter à être lu comme une nouvelle déposition susceptible de confirmer ou d’infirmer le jugement du lecteur, engager, en lieu et place de leur destinataire respectif, le lecteur lui-même à réagir, voire à prendre parti pour l’un ou l’autre des témoins. Mais n’est-ce pas, d’une façon plus générale, une des fonctions de la littérature que d’interpeller ainsi le lecteur pour l’inviter à se déterminer, à se positionner ? De fait, les textes, qui suscitent des modes de perception différents, mobilisent des ressources rhétoriques, se doublent d’un plaisir interprétatif de déchiffrage. Leurs écritures disent autant par un régime explicite de diction que par un régime implicite de non-diction, autant par les mots que par les suggestions, les omissions, les allusions, les clins d’œil, les manipulations référentielles, les aveux déguisés susceptibles de transformer leur compréhension comme le sens à leur donner. Par certains côtés, ce dialogue intertextuel donne l’impression, par le système d’échos qu’il met en œuvre, de nous convoquer à un procès au cours duquel la procureure Ernaux semble se faire juge de Vilain, et où, Vilain, avocat de la défense, tente de plaider sa cause. Ces six textes, auxquels il faut ajouter un péritexte (notamment, les deux entretiens entre Ernaux et Vilain, les différents travaux universitaires de Vilain sur Ernaux) entretiennent une interaction constante, dynamique et stimulante au bout de laquelle chacun semble tenter d’avoir le dernier mot, sinon de faire histoire, de donner un sens à celle-ci et d’en reprendre possession.
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Échéance :
Les propositions de contribution (300-500 mots), accompagnées d’une brève bio-bibliographie, doivent être adressées, avant le 31 mai 2025, aux adresses suivantes : s.m.e.vanwesemael@uva.nl et francescopaolo.madonia@unipa.it
Calendrier provisionnel :
Date tombée pour les propositions de contribution : 31 mai 2025
Acceptation/refus des propositions après avis du comité scientifique : 31 juillet 2025
Communication des données pratiques concernant l’organisation du colloque. Les participants doivent payer eux-mêmes les frais de déplacement et d'hébergement.
Une sélection des contributions fera l’objet d’ une publication.
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Bibliographie sélective
Blanchard M.-E., « (Dé)faire l’amour d’une histoire à l’autre. Les dynamiques amoureuses chez Annie Ernaux dans Fragments autour de Philippe V., L’occupation et l’Usage de la photo. Mémoire de maîtrise, Université du Québec (Montréal), février 2010.
Blanckeman Bruno. « Figures de soi/Postures intimes : le type ethnographique : Ernaux/Vilain », in L’intime-L’extime, Rodopi, Amsterdam, 2002, pp. 45-52.
Havercroft Barbara. « Auto/biographies croisées : L’étreinte d’Annie E. et Philippe V. », in Vies en récits : Formes littéraires et médiatiques de la biographie et de l’autobiographie, coll. Convergences, n° 38, Québec, 2007, pp. 159-186.
Lis J. « Annie Ernaux et Philippe Vilain. Réécriture croisée », in Quelques aspects de la réécriture, dir. Magdalena. Wandzioch. Uniwersytetu Slaskiego W Katowicach Katowice (Pologne), 2008, pp. 202-2013.
Madonia, Francesco Paolo Madonia, « Une rencontre fortuite : Annie Ernaux », in Philippe Vilain, l’amour en ses discours. Mimesis éditeur, coll. Multiples, 2022, pp. 30-32.
Müller, Justine, « Réactualisation du démon proustien de la jalousie : Etude des relations hypertextuelles entre Ernaux et Vilain », Dalhousie French Studies (Dossier : Philippe Vilain, romancier de la pensée critique), n° 124, hiver 2023, pp. 153-168.
Richardson Viti E. « Passion simple, Fragments autour de Philippe V. and L’usage de la photo : the many stages of Annie Ernaux’s desires. Women in french studies, n° 14, 2006, pp. 76-87.
Salvan, Mirela-Sanda. « Aspects éthiques de la littérature autobiographique – Philippe Vilain et Annie Ernaux. Annales Universitatis Apulensis (Universitatea Politehnica din Bucurest). Series Philologica, n° 22, issue 1, 2021.
Salvan, Mirela-Sanda. « Autobiographie et l’illusion de la vérité. Réflexions sur le roman L’étreinte de Philippe Vilain. Annales Universitatis Apulensis (Universitatea Politehnica din Bucurest). Series Philologica, n° 22, issue 1, 2021.
Surmonte, Emilia. « Ethique, parrhêsia, et écriture de la subjectivité : le cas du Jeune homme d’Annie Ernaux », colloque Reconfigurations de l’autobiographique au XXXe siècle. Assises de la littérature contemporaine française et francophone, à l’université Federico II de Naples.
Philippe Vilain ou la dialectique des genres, sous la direction d’Arnaud Schmitt et Philippe Weigel.- Orizons, collection « Université/Comparaison », 2015, 314 p.