Colloques en ligne

Théorie littéraire féminine à la Belle Époque

« La symbolique du théâtre », chromolithographie d’Auguste François-Marie Gorguet pour le Comoedia illustré, 1908.

Actes revus et augmentés de la journée d’étude organisée à

la Sorbonne Nouvelle le 8 février 2020.

Dans une étude consacrée à la place des femmes dans l’histoire littéraire, Christine Planté écrit :

« [...] au XIXe siècle les femmes écrivains, se conformant apparemment à la modestie de rigueur recommandée à leur sexe, semblent s’être souvent peu souciées de querelles d’école, abstenues de déclarations fracassantes, de proclamations théoriques et de manifestes. »

Qu’en est-il à la toute fin du long XIXe siècle, dans ce moment de contradiction qu’on nomme « Belle Époque », partagé entre misogynie fin-de-siècle et émergence conjointe de la production littéraire féminine et des mouvements politiques féministes ?

Les choses, a priori, semblent avoir peu évolué entre le début et le tournant du siècle : rares sont, en 1900, les femmes qui livrent, à côté de leurs œuvres, un mode d’emploi théorique sous forme d’essai, ou revendiquent publiquement une innovation littéraire. Quelques contre-exemples sont pourtant remarquables, de Marie Krysinska engagée dans la querelle du vers libre, au Manifeste de la femme futuriste de Valentine de Saint-Point. Surtout, absence de texte essayistique n’est pas absence de pensée théorique : en effet, comment considérer les réflexions glissées par Renée Vivien dans Une femme m’apparut, les préfaces et aphorismes de Natalie Barney, les mises en scène métalittéraires qui émaillent les œuvres de Colette, ou bien encore la vision qui structure les critiques littéraires de Rachilde ? Dès lors que l’on reconnaît les résistances nombreuses imposées aux femmes qui écrivent, et l’impossibilité quasi totale de revendiquer une pensée théorique lorsque l’on appartient à une catégorie à laquelle la capacité créatrice est déniée, doit-on exclure ces lieux d’exploration du champ théorique, ou bien les utiliser au contraire pour en réinterroger les limites et la porosité ?

Les voies empruntées par les femmes pour théoriser quand même interpellent les capacités de lecture et leurs biais genrés, questionnent les limites entre théorie, fiction, critique, et finalement, interrogent notre rapport aux institutions de la littérature et à la production de ses normes. La Belle Époque se fait ainsi moment symbolique des négociations et des ajustements des femmes romancières, dramaturges, poètes, pour exposer leur pensée sans déroger ou prendre le risque d'un éreintement critique.

Textes réunis par Camille Islert (ENS de Lyon - HiSoMA)et Wendy Prin-Conti (Académie française – service du Dictionnaire)

Mis en ligne avec le soutien de l’Université de Lausanne.

DOI : https://doi.org/10.58282/colloques.10947