ISSN 2115-8037
DOSSIER CRITIQUE n°74
2024Février 2024 (volume 25, numéro 2)Littérature et politique. Nouvelles perspectives théoriques
Dir. Esther Demoulin et Léo Mesguich
Ce dossier a initialement été conçu en milieu d’année 2023. Nous souhaitions revenir sur un certain nombre de publications importantes autour des liens fructueux entre littérature et politique, en particulier dans le champ littéraire contemporain. L’actualité éditoriale récente, celle de la rentrée d’hiver 2024, a confirmé cette tendance avec la parution de plusieurs ouvrages remarqués — Littérature et Révolution de Joseph Andras et Kaoutar Harchi ; Contre la littérature politique, ouvrage collectif paru chez La Fabrique ; Défaire voir. Littérature et Politique de Sandra Lucbert —, et a nécessité d’agrandir la liste d’ouvrages recensés. Mêlant perspectives diachroniques et synchroniques, prises de position d’auteur∙rices et réflexions de contemporanéistes, les recensions réunies dans ce dossier permettent un riche tour d’horizon.
Plusieurs recensions proposent en effet de repenser cette réflexion sur le politique en littérature au moyen d’une nouvelle historiographie. Sylvie Servoise, dans son récent « Que sais-je ? » commenté par Aurore Turbiau, privilégie ainsi, à la différence de Benoît Denis, une vision transhistorique large en faisant de Christine de Pizan une des figures fondatrices de l’engagement en littérature. Son essai permet de la sorte de remettre en cause la consécration du XXe siècle : ce qui a fait la spécificité du siècle de Sartre, c’est son appréhension théorique de l’engagement et du contre-engagement. Il est en cela frappant de constater à quel point les ouvrages récents témoignent d’une forme de hantise pour la théorie. D’une part, les écrivain·es refusent bien souvent la forme de l’essai au profit de formes fictionnalisées (comme celle du conte, privilégiée par Lucbert et Volodine) ; d’autre part, les universitaires reviennent sur la nécessité d’une interaction fructueuse entre écrivains et commentateurs — Mathilde Roussigné suggère de réfléchir à une étude avec les textes plutôt qu’à une étude des textes, révélant un refus du surplomb largement partagé par les auteur·ices du dossier. Ce que souligne enfin l’essai de Sylvie Servoise, c’est à quel point la notion d’engagement n’a jamais eu bonne presse. Associé à un militantisme de mauvais aloi, la littérature engagée et les postures d’auteur qui lui sont associées sont communément décriées sans jamais être clairement définies. Denis Saint-Amand propose ainsi un addendum nécessaire à notre Dictionnaire des idées reçues contemporaines : « Littérature engagée — On ne sait pas ce que c’est. Tonner contre. »
En cela, la littérature politique suggérée par les publications récentes semble souvent (mais pas toujours) négative. Le tonneau de Sartre fièrement planté devant l’usine Billancourt se voit remplacé par la tribune vide du conte de Volodine : l’écrivain·e n’est attendu·e par personne, ce qui explique peut-être en partie l’absence de réflexions concrètes sur l’engagement effectif des écrivain·es — Harchi et Andras exceptés. Foin du bloc : mis à part certains concepts issus des sciences sociales, aucun métalangage ne fait l’unanimité et aucune démarche collective claire ne semble émerger. Ni les critiques ni les auteur·ices ne cherchent à faire école, et les ouvrages collectifs recensés ne sont jamais écrits à plusieurs mains. Et pourtant... L’intérêt majeur du dossier consiste peut-être à offrir une série d’éclairages sur les divisions internes au champ contemporain : tout oppose les positions expérimentales de Nathalie Quintane ou de Sandra Lucbert et l’art calqué sur le réel qu’Edouard Louis appelle de ses vœux dans son dialogue avec Ken Loach. Car c’est bien la littérature dite des transfuges de classe, « la littérature-de-ceux-qui-parviennent-à-tout-prix » selon le mot de Sandra Lucbert, qui semble l’ennemi contre lequel il faut désormais tonner. En attendant, Houellebecq se porte comme un charme.
E. D & L. M.
Littérature et politique. Une histoire longue
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Aurore Turbiausur : Sylvie Servoise, La Littérature engagée
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Patricia Richard-Principalli
Politique et livre jeunesse : Qui a peur du « Grand Méchant Mot ? »
sur : Christian Bruel, L’Aventure politique du livre jeunesse -
Aline Marchand
Au soulèvement des écritures
sur : Justine Huppe & Julien Jeusette [dir.], L’Esprit créateur
Politiser la critique
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Justine Huppe
Un art qui construit la vie (et aussi des salles de bain)
sur : Boris Arvatov, Art et Production -
Marc Escola
La dialectique des réalismes
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Vincent Berthelier
Sur un abus de mémoire
sur : Olivier Gloag, Oublier Camus
Paroles d'artistes
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Denis Saint-Amand
Politique et littérature : une enquête
sur : Alexandre Gefen, La Littérature est une affaire politique -
Edward Lee-Six
Divagations de deux gauches
sur : Ken Loach, Édouard Louis, Dialogue sur l’art et la politique -
Jean-Marc Baud
Par l’opération du « corps-esprit ». Sur Défaire voir de Sandra Lucbert
sur : Sandra Lucbert, Défaire voir -
Cécile Chatelet
Contre une littérature claire comme de l’eau de roche : mode d’emploi pour des écritures politiques contemporaines
sur : P. Alferi, L. Kaplan, N. Quintane, T. Viel, A. Volodine et L. Yousfi, Contre la littérature politique -
Mathilde Roussigné
Permanences révolutionnaires. À la jonction esquintée de la littérature et du socialisme
sur : Joseph Andras, Kaoutar Harchi, Littérature et Révolution
Ambivalences politiques du contemporain
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Léo Mesguich
De quoi le terrain est-il le nom ?
sur : Mathilde Roussigné, Terrain et littérature, nouvelles approches -
Aurélien Maignant
Prudences et pouvoirs : les théories de la fiction au prisme de l’engagement littéraire
sur : Justine Huppe, Jean-Pierre Bertrand et Frédéric Claisse (dir.), La fiction contemporaine face à ses pouvoirs -
Alice de Charentenay
« Jusqu'au mince esquif de papyrus » : comment la littérature peut-elle se politiser aujourd’hui ?
sur : Justine Huppe, La Littérature embarquée -
Esther Demoulin
Genre, engagement et agentivité : réflexions sur un trio
sur : Barbara Havercroft et Pascal Michelucci (dir.), Fixxion
Dans la bibliothèque de Fabula
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Adrien Gautier
Renouveau de la critique sociale dans la littérature française contemporaine
sur : Justine Huppe, Jean-Pierre Bertrand & Frédéric Claisse, Réarmements critiques dans la littérature française contemporaine -
Sandra Poujat
La constellation des droites : pour une politique du style réactionnaire
sur : Vincent Berthelier, Le Style réactionnaire. De Maurras à Houellebecq