Pour une littérature du care
Agent politique et opératrice de transformation sociale, la littérature l’est autant par son rôle dans les processus de saisie de soi et d’émancipation personnelles qu’en tant que forme de savoir et pratique attentionnelle. L’émergence des humanités médicales, l’invitation des écrivains dans les hôpitaux ou les maisons de retraite, les récits consacrés aux diverses formes de la vulnérabilité et d’invisibilité contemporaines sont autant de signes de ce tournant relationnel qui conduit à décrire un vaste pan de la littérature à travers le vocabulaire du care.
Car la littérature et les arts ont investi le terrain du care avant même sa théorisation. Nombre de créateur.rice.s contemporain.e.s ont souhaité faire des ateliers d’écriture, des résidences ou des rencontres avec leurs lecteurs dans des lieux où se produit du care à travers l’hypothèse d’une médiation réparatrice de la poésie et de la fiction. Le pouvoir de dévoilement ou de redescription de la littérature lorsqu‘elle s’intéresse aux minorisé.e.s ou aux invisibles est de plus en plus associé à l’idée d’un soin langagier, narratif ou symbolique. Or, si, d’un commun accord, on fait remonter la problématisation de la notion de care à l’étude séminale In a Different Voice (1982 ; trad. fr. Une voix différente, 1986 et 2008) de Carol Gilligan puis à son versant politique avec Joan Tronto (Moral Boundaries, 1993, trad. fr. Un monde vulnérable, 2009) ; si la pensée du care a rapidement essaimé quasi en même temps dans d’autres champs – en philosophie, en études politiques, en sociologie et psychologie sociale, cette problématique reste émergente, voire négligée, en littérature et plus généralement en esthétique.
Issu du colloque Caring lit’ / Pour une littérature du care organisé du 25 au 27 octobre 2021 par Alexandre Gefen, Sandra Laugier et Andrea Oberhuber à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, le présent sommaire s'attache à la fois aux œuvres abordant le care dans ses dimensions pratiques et affectives, y compris les œuvres des siècles précédents, aux dispositifs littéraires performant le care, comme aux approches théoriques rattachant la lecture et l’écriture aux processus de care.
Textes réunis par Alexandre Gefen (CNRS — Université Sorbonne nouvelle) et Andrea Oberhuber (Université de Montréal)
et mis en ligne par Antoine Poisson (Sorbonne nouvelle)
- Présentation
- Souci d’autrui, soin, écriture
Andrea Oberhuber et Alexandre Gefen - Le care avant le care
- « Et cet état fragile et vil » : Fragilité et caring attitude chez Giacomo Leopardi
Silvia Ricca - Littérature catholique, littérature (du) care ? Le second XIXe siècle en question
Charles Plet - Dialogue de Giraudoux et du « sympathique » Bergson
Clément Girardi - Giono et le care
Mamadou Faye - Le peintre de la vie moderne comme citoyen vulnérable
Barbara Formis - Travail de care et de deuil – médecine narrative
- L’œuvre in extremis de Sophie Calle sur sa mère : le deuil comme care
Maïté Snauwaert - Dans la maison des morts. Deuil et pratiques attentionnelles dans Comment j’ai vidé la maison de mes parents de Lydia Flem et Avant que j’oublie d’Anne Pauly
Delphine Delga-Leleu - La relation d’aide dans les récits de filiation consacrés à un parent âgé en institution : récit du care et care du récit
Cathy Dissler - La littérature en médecine narrative, une expérience (du) sensible
Isabelle Galichon - Souci de l’autre, souci de soi et création
- Caring (about) Ismene : (r)écriture et care
Cécile Neeser Hever - « Like desert flowers you bloom » : les travailleuses du care dans la poésie de Pat Mora
Méliné Kasparian-Le Fèvre - Écrire pour prendre soin : l’écriture du care dans les nouvelles de Melatu Uche Okorie
Marie Mianowski et Jessica Small - « Rien ne s’achèvera aujourd’hui » : répondre à la vieillesse et à la maladie dans Une écharde sous ton ongle, de Louise Dupré
Dominique Hétu - La relation d’aide dans les récits de filiation consacrés à un parent âgé en institution : récit du care et care du récit
Cathy Dissler - Dare to care : la littérature comme brave space
Pascale Joubi - La mue, la mort et le chant d’une IA
Judith Deschamps - Pe/anser les traumatismes, soigner le lien avec l’Autre
- Du soin différé : le témoignage littéraire comme partage de l’intolérable (Delbo, Chalamov)
Catherine Nesci - Fraternité de la mort et réciprocité des corps : Les Portes de Thèbes de Mathieu Riboulet
Béatrice Lefebvre-Côté - Soigner, aimer de Ouanessa Younsi : une tentative de redéfinir la relation de soin
Stéphanie Proulx - « Même les monstres ont une histoire » : une forme d’empathie difficile dans Chanson douce de Leïla Slimani
Anne Riippa - Face aux désastres : histoires d’amour, résilience et demande de reconnaissance à l’Est de la RD Congo
Maëline Le Lay - Table ronde
- Récits de fin de vie
Claire Fercak, Mathieu Simonet et Alexandre Gefen (questions)