
Anthropologie et littérature
Comment entendre la parole de l’autre ? Comment la faire entendre ? L’anthropologie, en France, ne s’est pas construite dans un dialogue avec la parole "indigène". Elle a réifié un discours, certes suscité et recueilli, mais réduit à la fonction de document à compléter (il est source) ou à interpréter (il est signe). Catégorie coloniale ou notion théorique, l’"indigène" est dans tous les cas objet de discours et non sujet d’énonciation. Dans La Source et le Signe, sous-titré Anthropologie, littérature et parole indigène (Seuil), Vincent Debaene brosse l'histoire de la discipline en France pour se pencher sur les ambivalences des discours qui prétendent accueillir ou étudier la parole de l’autre. Il scrute l’héritage colonial de l’anthropologie et les possibilités de s’en déprendre. Sur la base d’un corpus de textes africains et malgaches, jadis désigné comme "littérature indigène d’expression française", il montre comment s’est instituée une hiérarchie entre écriture dominée et lecture dominante. Il montre surtout comment des auteurs ont, bien avant les indépendances, inventé des formes, littéraires et savantes, pour forcer la possibilité d’un dialogue et faire entendre leurs voix. Fabula vous invite à parcourir le sommaire et à lire un extrait de l'ouvrage…
Fabula a déjà salué la récente livraison de la revue Gradhiva éditée par la même institution : "Archives, écriture, fiction. Dans les pas de Jean Jamin", supervisée par Julien Bondaz, Michèle Coquet, Vincent Debaene, Éric Jolly et Marianne Lemaire, qui éclairait l’épistémologie de l'ethnographie à travers la question de l’écriture du terrain mais aussi les rapports qu’elle entretient à la fiction et aux arts.
Rappelons qu'on peut lire dans Acta fabula un compte rendu du précédent essai de Vincent Debaene, L'Adieu au voyage. L'ethnologie française entre science et littérature (Gallimard), dans un dossier critique consacré au "partage des disciplines" apparié au numéro de Fabula-LHT sur le même sujet : "Mœurs & coutumes des ethnologues français : histoire d’un voyage fait dans l’écriture du terrain" par Odile Gannier. Mais aussi la manière de postface donnée par l'auteur à ce livre dans le numéro d'Acta fabula "Dix ans de théorie" (2018) : "Adieux à l'Adieu"…
(Illustr. : Funérailles dogon. Ronde des deuilleurs aux funérailles d’une vieille femme. Village de Sanga, Mali, mission Dakar-Djibouti, 2 octobre 1931. Photo Marcel Griaule. ©Musée du Quai Branly, Paris)